• photo Pierre Ahnne« Enfin, bref : je gagne mon pain quotidien en pensant, ruminant, creusant, fouillant, méditant, versifiant, cherchant, examinant et en me promenant, et j’en bave autant qu’un autre. Tout en faisant peut-être les mines les plus réjouies, je suis extrêmement sérieux et consciencieux, et quand je n’ai l’air d’être rien qu’exalté je suis un professionnel irréprochable. Puis-je espérer, ayant fait devant vous cette déclaration détaillée de mes aspirations visiblement honnêtes, vous voir amplement convaincu ?

    Le fonctionnaire dit : « bon », et il ajouta :

    — Votre requête tendant à obtenir notre accord pour que soit fixé au niveau le plus bas le taux de votre imposition va être examinée.»

     

    Robert Walser, La Promenade

     

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  • Comme tous les ans, des rappels et des suggestions, à déguster à l’abri de froidures qui s’annoncent cette année plus métaphoriques que sensibles…

     

     

    photo Pierre Ahnne

     

     

     Des livres dont j’ai parlé…

     

    Vea Kaiser, Blasmusikpop (Presses de la Cité)

    Une de mes découvertes de la rentrée : le premier roman de cette jeune écrivaine autrichienne mêle chronique villageoise, récit d’éducation et réflexion sur le même et l’autre avec une énergie jubilatoire.

     

    Michel Longuet, Le Divan illustré (Les Impressions nouvelles)

    L’admirable dessinateur se révèle aussi un écrivain dans ce récit d’une analyse qui associe subtilement ses deux talents.

     

    Herta Müller, Dépressions (Gallimard)

    Au-delà du témoignage sur son enfance roumaine, la Prix Nobel de langue allemande parle de l’être au monde, comme toujours.

     

    Gilles Pétel, Exhibitions (iggybook)

    Mon ancien compagnon de blog évoque l’art contemporain et la chair, dans un roman qu’on pourra à bon droit dire bien troussé.

     

    Gilles Sebhan, Retour à Duvert (Le Dilettante)

    L’auteur de Tony Duvert, l’enfant silencieux (Denoël, 2010) repart sur les traces du grand écrivain sulfureux, pour une biographie qui fera date.

     

     

    photo Pierre Ahnne

     

     

     Des livres dont je vais parler…

     

    Ce n’est pas parce que la rentrée de janvier arrive qu’il faudrait cesser d’évoquer les titres de celle de septembre. Parmi ceux-ci, il en est deux que je recommande d’ores et déjà avant d’y revenir plus longuement :

     

    Football, de Jean-Philippe Toussaint (Les Éditions de Minuit)

    … et pourtant je ne suis, et c’est peu de le dire, guère amateur de ballon rond…

     

    …et Un millier d’années de bonnes prières, de Yiyun Li, qui vient de reparaître chez 10-18, et dessine de bouleversants visages de la Chine contemporaine.

     

     

    photo Pierre Ahnne

     

     

    Des livres dont je pourrais parler plus longuement…

     

    J’ai peu de goût pour les genres, que tant de lecteurs prisent. Mais en les revisitant avec grâce on peut en tirer bien des choses…

     

    Annette Fern, Fais ta prière, Shimon Lévy (Le Verger)

    Les juifs alsaciens et les Alsaciens tout court ayant des amis juifs ne seront pas les seuls à goûter les charmes de ce roman policier qui ne l’est qu’à demi. À l’enquête obligée du commissaire Schweitzer se mêle en effet celle qui lui fait découvrir, en explorateur un brin ahuri, le judaïsme strasbourgeois, ses rituels, ses codes, son histoire singulière qui recoupe celle de toute une région. Annette Fern, spécialiste de yiddish et auteure de théâtre, esquisse une réflexion sur le mélange des cultures.

     

    Loupetitou, Les Aventures du chevalier de Torgluff (Sous la cape)

    Sous ce pseudonyme au sérieux discutable se cache un auteur dont j’ai déjà parlé, de même que j’ai déjà mentionné le facétieux éditeur de ce roman de cape et d’épée qui traverse l’Europe, de Bretagne en Pologne, à une allure étourdissante. On n’y chevauche pas que des purs-sang : ni hommes ni femmes n’échappent à la fougue du chevalier ; même les mules, mon Dieu, ne sont pas à l’abri. Mais le XVIIe siècle se déploie aussi peu à peu dans toute sa complexité, et l’auteur sait rendre au passage les jeux de la lumière et des saisons.


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  • « On raconte d’une femme dont le mari ou l’amant avait disparu pendant vingt ans, dans photo Pierre Ahnnele centre de l’Afrique, ou enfin dans quelque endroit perdu de ce genre, que quand il lui revint, elle ne le reconnut pas, et la vie pourtant reprit entre eux, comme s’ils s’étaient quittés une quinzaine. C’est le soir, quand ils se couchèrent, soudain qu’elle le retrouva à la manière de plier ses habits sur la chaise. Vingt ans, le désert, les cannibales, les tigres, rien n’y avait fait. »

    Aragon, Les Beaux Quartiers

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  • perlbal.hi-pi.com/blog-imagesJ’ai déjà maintes fois fait l’éloge de l’excellente collection [Vintage], chez Belfond (voir par exemple ici ou ). Au mois de novembre, elle a inscrit à son catalogue la réédition d’un roman d’Erskine Caldwell paru en 1951 (et, pour la traduction française, en 1979). On aurait tort de passer à côté de ce qui apparaît une fois de plus comme une redécouverte. L’auteur de La Route au tabac, on s’en rendra compte à cette occasion, mérite mieux que son image d’écrivain un peu daté qui a souffert de la comparaison avec Faulkner.

     

    « … du côté des rondeurs »

     

    Comme d’habitude avec lui, on est chez les « petits Blancs » du Sud des Etats-Unis. Palmetto tire son nom des « palmiers nains » qui poussent dans les environs, et le choix d’un tel arbre n’est évidemment pas dû au hasard. Dans la ville, on n’a « pratiquement jamais entendu parler de quelqu’un qui se serait montré dans un nouvel habit ou avec un nouveau chapeau sans l’avoir d’abord étrenné le dimanche à l’église », méthodiste ou baptiste, au choix. Pension de famille, vérandas, rocking-chairs, « nuit[s] d’été indien chaud[es] et humid[es] » qui donnent des idées aux hommes, on est dans l’ambiance que le théâtre de Tennessee Williams et les films qui s’en inspirent nous ont depuis longtemps rendue familière.

     

    Mais une bombe va réveiller ce petit univers somnolent : la nouvelle institutrice. Ses élèves, mystère du système scolaire américain ou de la traduction française, ont quinze ou seize ans. Hélas ou tant mieux pour eux : chevelure « abondante et ondoyante », « bouche charnue et provocante », Vernona aime de surcroît porter des chandails « confortables et féminins », c’est-à-dire susceptibles de mettre en valeur une poitrine qui n’a rien à envier à celle de Jane Russell. Effet immédiat et systématique : élèves (fille autant que garçon), directeur de l’école, fermier, homme politique, conseiller agricole, personne n’échappe au charme de cette « très belle fille, drôlement à la hauteur du côté des rondeurs » comme le lui déclare avec galanterie un de ses soupirants. Les épouses, on s’en doute, sont moins enthousiastes. « Vous donnez à entendre aux hommes que vous les mettez au défi d’avoir de l’audace, et je n’ai encore jamais vu un homme capable de refuser d’examiner les chances de succès », dit l’une d’elles à la pulpeuse créature. Et une autre, à son mari, lors d’une scène de ménage d’anthologie : « Si tu m’aimais, tu ne devrais pas (…) passer tout ton temps à faire des yeux de merlan frit pendant que cette chose éhontée, de l’autre côté de la table, exhibe son corps sans soutien-gorge en m’humiliant jusqu’au tréfonds de moi-même ».

     

    Des aspects plus subtils

     

    Caldwell tire des effets d’un comique irrésistible de cette donnée de départ toute simple et des situations de plus en plus délirantes qu’elle engendre. Au début, on pense être dans la farce, ce dont on est d’ailleurs loin de se plaindre. Cependant Haute tension à Palmetto révèle peu à peu des aspects plus subtils. Ils tiennent d’abord à l’héroïne elle-même, la fameuse Vernona. Cette ingénue possédée par le « désir d’aimer » apparaît vite lucide et prête à s’avouer sans hésiter qu’un homme est « beau dans le genre fruste et costaud » et « qu’il pourrait être intéressant de le connaître mieux, pendant un certain temps » ; voire à céder à l’ « agréable sensation d’être entièrement dominée » et « à se sentir prête à faire tout ce qu’[on] pourrait exiger d’elle ». Le roman, par son entremise, se montre lui-même d’une tranquille hardiesse en ce début des années 1950.

     

    Comme au temps des Lumières

     

    D’autant que si la thématique sexuelle est centrale c’est qu’elle permet de faire surgir, comme l’héroïne qui la porte, toutes les vérités enfouies. « Ce qu’il y a d’empoisonnant avec vous, Nona », dit un des personnages, « c’est que vous avez le chic pour enfumer les gens et les faire sortir du trou dans lequel ils rampent ». Comme les visiteurs étrangers du temps des Lumières, la petite institutrice aux formes généreuses fait apparaître, du simple fait d’être là, les désirs, les rancœurs, les égoïsmes, la rapacité et le malheur fondamental des uns et des autres. Et elle-même, avec l’intelligence et l’honnêteté que cachaient ses airs trop candides, d’ajouter : « Je me suis enfumée moi-même pour me faire sortir. Maintenant, tout le monde sait qui je suis vraiment ».

     

    Peu à peu, une tonalité plus complexe et plus inquiétante s’insinue dans ce qui semblait au départ une satire sans prétention. Jusqu’au basculement final, parfait dans sa brutalité, qui plonge le roman dans une forme de tragique mêlé d’amertume résignée. C’était donc là qu’Erskine Caldwell voulait nous conduire après nous avoir appâtés avec d’aimables gaudrioles… Une belle petite machine infernale, décidément.

     

    P. A.

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  • photo Pierre Ahnne

     

    « Je vis depuis des années dans cet état de malédiction de moi-même, de reniement de moi-même et de dérision de moi-même, à quoi je dois toujours recourir finalement, afin de me sauver. Seulement je me demande tout le temps : me sauver de quoi ? »

    Thomas Bernhard, Béton

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