• Apprenons à écrire

    Apprenons à écrirePlusieurs universités françaises lancent des masters de création littéraire, sur le modèle du « creative writing » américain. « Le Monde des livres » s’en félicite. Moi aussi. Il était temps d’en finir avec les « tabous », les « préjugés » et les « blocages » qui sévissaient dans ce domaine. Dans le domaine de la création littéraire il y avait de sacrés blocages. L’exemple américain était pourtant là pour nous démontrer qu’on pouvait enseigner ce type de création sans conduire ainsi « à une normalisation de la littérature ». Prétendre qu’il existe une littérature américaine normalisée ce serait en effet faire preuve de mauvaise foi. Le roman américain est de bien des sortes : il y a le roman de campus, le roman des grands espaces, le roman de la jungle urbaine,… beaucoup d’autres.

     

    L’exemple des écoles d’art aurait dû également ouvrir depuis longtemps les yeux des universitaires. Dans ces écoles, depuis longtemps, on aborde « par la pratique, aussi bien la musique que la vidéo, le design ou les outils numériques ». Et c’est vrai qu’avant, quand il fallait apprendre par exemple le solfège tout seul, on était embêté. Pour les outils numériques ça n’était pas commode non plus. Hélène Merlin-Kajman, à qui « Le Monde des livres » donne aussi, on se demande pourquoi, la parole, prétend à propos du solfège que « nous ne passons pas notre vie à chanter ou à dessiner, alors que nous parlons tout le temps ». Mais elle fait du mauvais esprit. Elle est azebin.

     

    Non, il faut se réjouir qu’en France on adopte enfin « une vision plus professionnelle » de la littérature, et qu’on se soucie d’ « offrir aux étudiants en lettres un autre débouché que l’enseignement ou la recherche ». Grâce à leur master de création littéraire ils pourront animer des ateliers d’écriture, comme la plupart des écrivains qui sont censés vivre de leur plume. Parce qu’il y a beau temps que les ateliers d’écriture ont devancé l’Université. Ces ateliers partout fleurissent. Gallimard en organise même un, pour les « passionnés qui écrivent depuis toujours et veulent un retour autre que celui du mari, de l’épouse ou de la cousine ». Rien que cette façon aimable de parler des clients donne envie de s’inscrire tout de suite (1500 euros les quatre séances).

     

    Pour en revenir aux étudiants et être honnête, il faut dire que leur enseigner la création a aussi un autre objectif : les « impliquer davantage (…) comme lecteurs ». Car, voyez-vous, ils n’aiment pas lire. On les comprend. C’est souvent barbant. Tandis qu’en écrivant on crée, on se réalise, on s’exprime, on construit sa personnalité, on communique. Et par-dessus le marché on peut toujours s’imaginer riche et célèbre quand on sera grand. Ça ne fait de mal à personne, ça motive, et ça incite à se taper les pavés dont la seule épaisseur vous décourageait jusqu’alors, Les Illusions perdues, par exemple. Surtout, il y a quelque chose de vraiment sympa et positif dans cette idée que si on veut on peut. On a beaucoup fait croire qu’être écrivain voulait dire être, pour des raisons qu’on ne comprenait pas très bien et dès le départ, dans un certain rapport à la langue. Conception bien réac et peu démocratique. En fait ce n’était pas du tout une question d’être, mais d’avoir, comme tout le reste, ouf. Tout s’acquiert, quel soulagement.

     

    Au fait qu’acquiert-on. Qu’est-ce qu’on apprendra dans ces facs, qu’on apprend déjà dans ces ateliers. L’article que j’ai lu est plus discret dans ce domaine. Jean-Marie Laclavetine, qui anime l’atelier chez Gallimard, donne quand même des indications : « Comment rendre tel mot, telle tournure de phrase plus justes, plus efficaces ou plus poétiques ? Chaque mot compte dans une phrase, chaque phrase dans un paragraphe, chaque paragraphe dans un récit ». J’avoue que je n’y avais pas pensé. Je vais aller m’inscrire tout de suite, tant pis pour les 1500 euros. Je saurai enfin ce que « poétique » veut dire, ça les vaut bien, moi qui me demande souvent ce qu’il faut entendre par là et qui ne suis même pas sûr qu’une phrase doive être « poétique ». Sur ce point déjà j’ai une réponse claire et sans chichis. À l’atelier de Jean-Marie j’en aurai sûrement beaucoup d’autres, je n’ai plus vraiment l’âge d’aller en fac mais j’ai encore, dans cet atelier ou même dans un autre un peu moins cher, une chance d’apprendre les clichés, pardon, les techniques qui font qu’un paragraphe ressemble à quelque chose. Ça me fait juste un peu de peine quand je pense à tous ces Beckett tous ces Proust ces Genet et ces Thomas Bernhard qui vivaient avant les ateliers et les masters si bien que leurs écrits ne ressemblaient à rien. Enfin, à rien de déjà vu.

     

    P. A.

     photo http-_p0.storage.canalblog.com

     

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  • Commentaires

    6
    Z le
    Vendredi 28 Juin 2013 à 18:01
    Excellent !
    5
    Dimanche 5 Mai 2013 à 12:12

    Ta lecture de la fin est la bonne et éclaire celle du début: je ne suis pas un grand partisan du "tout s'apprend". Mais on a le droit d'avoir un avis différent, bien sûr. Toutes ces questions sont bien complexes...

    4
    Dimanche 5 Mai 2013 à 11:47
    Je dois être débile, je ne comprends pas ta position sur le sujet. Es-tu pour ou contre ces cours d'écriture créative ?
    J'ai lu l'article du Monde, intéressant sans plus, mais s'il y a une chose dont je suis sûre, c'est qu'on peut apprendre en écriture, si ce n'est apprendre à écrire, en écrivant à plusieurs, en travaillant avec d'autres sur son écriture et sur la leur. Je trouve aussi, comme tu sembles le dire au début de ton texte (mais en arrivant à la fin je me suis interrogée sur la possible ironie du début), que le roman américain tire une grande partie de la force qui manque souvent au roman hexagonais de cette vision plus artisane qu'artiste.
    Evidemment, les ateliers de Gallimard qui coûtent un tibia, c'est du foutage de gueule absolu.
    3
    Dimanche 5 Mai 2013 à 09:31

    Merci !

    2
    Samedi 4 Mai 2013 à 15:43

    Et, en partie au moins, le chômage !

    1
    Samedi 4 Mai 2013 à 12:52
    Au moins c'est net et bien envoyé. On imagine en effet le bon Bill Burroughs professeur à la fac. Et voilà, je me fais une piquouze et je coupe mon texte pour le recoller selon les lois du hasard. Ah la la, l'échec scolaire enfin résolu.
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