• Corps désirable, Hubert Haddad (Zulma)

    https-_upload.wikimedia.orgDans Théorie de la vilaine petite fille (Zulma, 2014), Hubert Haddad ressuscitait les sœurs Fox, à l’origine du « spiritualisme moderne ». C’était l’occasion d’une assez fascinante allégorie de la littérature et, au-delà, d’une méditation sur le mystère des lieux et l’énigme de l’être-là (voir mon article de l’époque).

     

     

    C’est Frankenstein qu’on revisite

     

    Avec Corps désirable, l’auteur confirme son intérêt pour les fables en général, et plus spécialement pour celles qui sont nées pendant le XIXe siècle aux frontières du rêve et de la science. Cédric Allyn-Weberson, fils révolté d’un magnat de l’industrie pharmaceutique, reste tétraplégique à la suite d’un accident (?). Intervention du père, grâce auquel une technique médicale révolutionnaire lui est appliquée : la greffe sur sa tête du corps intact d’un motard qu’un autre accident (?) a placé en état de mort cérébrale. C’est Frankenstein qu’on revisite, et le roman gothique, transposé loin de ce qui en faisait peut-être en grande partie le charme — châteaux obscurs sur des landes livrées au vent, caves voûtées. Ici, on est dans les unités de soins intensifs des cliniques ultra-modernes, ou, au mieux, l’opération une fois réussie, en hôtel de luxe sur les bords de la Méditerranée ou des lacs suisses.

     

    Le récit de cette opération, effectuée par le professeur Cadavero et son équipe (carrément), morceau de bravoure très réussi, pose le problème qui sera au cœur du roman : « Cette tête seule qu’on transférait sous une bulle de plastique semblait davantage l’objet ou l’organe à transplanter face à ce corps immense demeuré sur sa table dans une triste majesté de supplicié ». Qui greffe-t-on ? Le narrateur recense en une page pour mieux les rejeter toutes les politiques-fictions qui pourraient croître et prospérer sur son argument de départ. (« Les rêves et les supputations avaient envahi la chronique »). Ce qui l’intéresse, et nous aussi, ce sont les états qu’il prête à son hybride : sentiment de tomber « en tournoyant dans l’abîme d’une anatomie inconnue », « déchirure de tout l’être », « mal à son vide »…

     

    Qui jouit ? Qui regarde ?

     

    Voici la fable de la tête et du corps, laquelle pourrait être celle de toutes les têtes et de tous les corps. Elle pose quelques questions brutales : qui jouit quand « la partie du corps la plus autonome, presque incontrôlable, chez un homme ordinaire », fait des siennes ? avec qui jouit l’autre, « toute à ce corps d’homme » qu’une tête qui n’est la sienne qu’en partie contemple comme « sur un étroit balcon d’os » ? qui est qui, de ce corps ou de cette tête parcourue de « voix anonymes » qui « bruiss[ent] du fond des organes », attentive aux « turbulences énigmatiques des muscles et des viscères » ?

     

    Entre le zist et le zest

     

    On se réjouirait des vertiges que pourrait occasionner une plongée aussi franche dans la question de l’identité, de l’audace et de l’humour qu’il y a à la mettre en scène sous les espèces d’une histoire faisant un tel crédit aux pouvoirs de l’imaginaire — la « suspension consentie de l’incrédulité », chère à l’auteur, est de mise plus que jamais. Mais peut-être ce choix radical ne pouvait-il s’accommoder que de solutions extrêmes : la rêverie poétique ou le thriller façon Belletto. Hubert Haddad se retient au bord de la première, néglige le second pour tenter en une fin brouillonne de le rattraper in extremis, en fin de compte ne choisit pas. Il en résulte un livre à l’image de son héros, entre queue et tête, chimère un brin ennuyeuse, c’est bien le comble. Du coup, l’écriture de Haddad, dont on sait par ailleurs les possibilités en matière de force évocatrice et de souple élégance, apparaît ici maniérée. Les fautes de français se voient plus, aussi.

     

    P. A.

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