• Enfantillages, Pierre Bergounioux (L’Herne)

    christianlegac.over-blog.comC’est un joli petit objet, que L’Herne a publié en 2019 dans sa collection Carnets. C’est un carnet, ponctué de belles illustrations, qui représentent des insectes et dont on ne sait pas l’origine, c’est dommage.

     

    « Créatures colorées »

     

    Ce n’est pourtant qu’en apparence un ouvrage sur les insectes. Certes, on commence par l’admiration qu’ils suscitaient chez l’enfant que Bergounioux fut, et qu’il désigne en disant tantôt je, tantôt on ou nous. On retrouve là le goût du Bergounioux adulte pour les appellations précises, voire savantes, et pour la musique qu’elles font — Cétoine, Piérides, Mégère, Argus, Macaon ou, naturellement, sphinx-moineau.

     

    Mais on passe, plus loin, à l’influence, sur le jeune Pierre, du cadre géologique changeant qu’il traversait dans la 4CV familiale — thème déjà et plus longuement développé dans Géologies (Galilée, 2013, voir ici). Et tout cela, insectes ou minéraux, n’est là que pour dire, en fait, les perplexités de l’enfance. Ou, du moins, d’un type bien précis d’enfants : ceux qui n’aiment rien tant que « courir après des insectes, récolter des cailloux, lire continuellement »… Pour ces enfants-là, si le monde, dominé par les adultes, « est une entité terne, à dominante bise, peuplée de gens lents, qui empruntent à la grisaille ambiante », il a, heureusement, « des marges, des interstices hantés de créatures colorées, insaisissables », qui « constituent un antidote à l’ennui ».

     

    « Discordance première »

     

    Ce n’est cependant pas encore, à proprement parler, un livre sur l’enfance. Comme tous les livres de Bergounioux, c’est plutôt un livre sur les rapports entre le moi et le monde. Un monde profondément, exclusivement matériel. Comment y être, s’y tenir ? Comment se « mettre à l’unisson », « se prémunir (…) contre la discordance première, foncière, entre le dehors et le dedans » ? Car le mystère qu’est le monde est susceptible d’être éclairci, c’est le progressisme de Bergounioux, peut-être son marxisme. Seulement, voilà : entre le choc premier de l’altérité mystérieuse et le savoir qui l’expliquera, il y a, dans l’espace comme dans le temps, un décalage : « On avait les choses ou certaines d’entre elles, du moins, sur place mais une puissance occulte, ennemie avait mis l’explication au loin et il fallait perdre les premières pour avoir la seconde ».

     

    Cet écart, voilà au fond le vrai sujet d’Enfantillages. On ne s’en étonnera pas. Entre « les choses » et leur « explication », entre le réel et les mots qui l’ordonnent mais le font disparaître, n’est-ce pas, aussi, l’espace de l’écriture ? Oui. Et quelle écriture !...

     

    P. A.

     

    Illustration : un sphinx moineau, dit aussi papillon colibri

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