• La Paix des jardins, Alexandre Vialatte (Le Dilettante)

    photo Pierre AhnneGeorges Allary le souligne dans l’Avant-propos, quand Vialatte, très vite, « abandonnera les rimes pour la prose », ce sera « une prose où la poésie ne cessera d’être présente ». Oui, si par poésie on entend un mode d’écriture où la manière de dire en dit plus que ce qui est dit. Il paraît cependant assez normal que tel soit le cas de façon pour ainsi dire exacerbée dans les vers que l’encore tout jeune auteur écrivit entre 1920 et 1923, puis dans les quelques poèmes composés par l’écrivain confirmé après 1950.

     

    Le Dilettante republie aujourd’hui ces textes, que l’Association des Amis de Vialatte rassembla en 1987 dans le numéro 14 de ses Cahiers, et qui furent ensuite réédités en 1990 par La Différence et en 2000 par Les Belles Lettres. Le poète de vingt ans y pratique délibérément l’art du pastiche, et l’on pense souvent à Laforgue, à Apollinaire (« L’Amiral fouille l’horizon avec sa lunette / Et les matelots le regardent si bien habillé sur la dunette »), à Verlaine (« Un petit faune en terre cuite / Dans un rayon doré… »), à bien d’autres.

     

    Affiches

     

    De façon générale, on est dans un second degré systématique, et l’évocation ou la célébration d’images l’emporte sur ce que celles-ci représentent : « Dans les gares du P. L. M. / Nous irons, ô mon âme, / Chercher sur les belles réclames / La couleur des Sachems ». Le poème s’intitule, sans détours, Affiches, et semble annoncer la « réclame » qui, trente ans plus tard, donnera son titre au roman Les Fruits du Congo. Car il n’est qu’un seul thème, pour le jeune Auvergnat qui renonce, en ces années 1920, pour cause de mauvaise vue, à l’École navale : l’exotisme — non en tant que tel, mais en tant que thème, littéraire autant que populaire, et qu’objet obsessionnel des rêveries adolescentes. « Je veux comme un enfant sauvage / Courir dans les tristes palais / Où mon cœur contemple en image / Mademoiselle de Galais », dit le poète. Mais ce Grand Meaulnes-là s’exalte aux « récits bleus et or de l’antique marine », et les enfants, dans ses vers, savent « que là-bas les pays coloniaux / Les attendent avec la fièvre et la famine / Pour combler leurs espoirs et bâtir leurs tombeaux ».

     

    Songes d’époque, qu’un Mac Orlan, par exemple, retravaillera à sa manière (1). Et qui, plutôt que les pays dont ils parlent, sont le vrai sujet des poèmes, comme ils seront celui des romans ultérieurs, dans ce vertige d’une nostalgie de la nostalgie qui constitue une des singularités de Vialatte. Parfois, la mécanique s’emballe, en une avalanche de noms et d’images où l’impression d’absurde et d’autodérision naît de l’accumulation de clichés contradictoires et de sonorités cacophoniques. Ainsi du finale d’un poème intitulé J’ai trouvé mon adolescence… :

     

    « Mon cœur était un petit homme

    Tout habillé de gris

    Qui fut à la chasse aux perdrix

    De Paris jusqu’à Rome.

     

    Ex-capitaine de corvette

    À bord du Carabi

    Il fredonnait La Pomponnette

    Et rossait les Arbis.

     

    C’est à la cour de Saladin

    Qu’il mangea des bananes

    Et pour l’amour d’une tzigane

    Qu’il se fit baladin.

     

    Dans un décor de carton peint

    Il joue Polichinelle

    Et va chantant des ritournelles

    Sur des airs de Chopin. »

     

    Chanson

     

    Alors, insidieusement, quelque chose s’inverse… L’ironie, les blagues de collège et le décadentisme en viennent à exprimer une authentique et poignante mélancolie, si ce n’est un désespoir profond. Tous nos rêves d’adolescence, et, peut-être, nos rêves tout court, ne seraient vraiment que pacotille ? On glisse (déjà) dans cette tonalité où le zeugma (plutôt que l’oxymore, trop romantique) apparaît comme la figure vialattienne par excellence, associant, en un accord grinçant, le concret au lyrique et la trivialité au rêve :

     

    « Qu’importe à leurs désirs, qu’importe à leur audace

    La camarde marine et la terreur d’un soir ?...

    Sous les abat-jour verts de la petite classe

    Ils ont l’âge du rêve et des tabliers noirs ».

     

    Cette logique du zeugma (2) se donne libre cours dans la « complainte de la mort de Dora », qui viendra conclure, en 1951, Les Fruits du Congo, et qu’on retrouve ici en fin de volume. Après le dénouement tragique du roman et l’enterrement (à tous les sens du mot) des songes de jeunesse, l’Auvergnat a placé cette longue chanson, proprement hilarante, qui relate le crime terminal dans le style des chanteurs des rues. L’assassin y est traité de « serpent systématique », de « vautour en faux col », et « Les professeurs du Collège (…) / Flétrissent en mots choisis / L’attitud’ de ce bandit ».

     

    C’est sur cette mélodie pour orgue de barbarie que Vialatte a voulu conclure son grand roman. Quant au recueil, il se fermera, pour ceux qui auraient mal compris, sur le poème qui lui donne son titre :

     

    « Le monde joue à pigeon vole

    Au son du tambourin

    Tout va, tout vient, chante et s’affole,

    Tout disparaît soudain.

     

    Tout va, tout vient, chante et s’envole

    Comme le baladin,

    Les jours, les mois, ton cœur frivole,

    Ton jupon blanc, ta tête folle,

    Et la paix des jardins. »

     

    P. A.

     

    (1) Voir mon billet consacré à cet auteur.

    (2) Voir, à ce propos, mon article consacré à Vialatte et Les Fruits du Congo.

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