• Qui a tué mon père, Édouard Louis (Seuil)

    www.alternativelibertaire.orgIl y a une certaine logique dans le fait qu’Édouard Louis en vienne au théâtre… J'avais lu Histoire de la violence (Seuil, 2016) avec un peu de réticence, agacé de l’insistance culpabilisatrice avec laquelle l’auteur tirait une gloire paradoxale de ses origines modestes ; mais j’avais été séduit par le subtil assemblage de discours enchâssés qui faisaient de lui, à mes yeux, un grand écrivain de la voix. Je n’ai pas été, dirai-je en toute modestie, le seul à le penser, puisque, alors qu’Ostermeyer s’apprête à monter précisément Histoire de la violence à la Schaubühne, Louis publie aujourd’hui un court texte dédié à Xavier Dolan et qui sera porté sur la scène du Théâtre de la Colline en 2019 par Stanislas Nordey, remercié en fin de volume comme étant « à l’origine » de l’entreprise.

     

    « Ce que je ne t’ai pas dit… »

     

    Le livre commence par une brève introduction qui imagine, « si ce texte était un texte de théâtre », un dispositif scénique possible. Après quoi, c’est, en deux parties, ce que le prière-d’insérer appelle « une lettre au père ». À la deuxième personne du singulier, Édouard Louis (il refuse crânement de se cacher autrement que derrière son fameux pseudonyme) évoque son enfance, réorganisée autour de quelques scènes-clés : il fait honte à son père en chantant et dansant lors d’une soirée en famille ; un soir de Noël, un camion percute la voiture du père, remplie de cadeaux, et la volatilise littéralement ; un autre jour, dans la même voiture, le père emmène le fils au bord de la mer et roule « sur les vagues »…

     

    On n’est pas chez Annie Ernaux : ce qu’il s’agit ici de reconstituer, ce n’est pas à proprement parler la vie du père mais la vision que le fils en a. Comment pourrait-il en être autrement ? « Le père est privé de la possibilité de raconter sa propre vie et le fils voudrait une réponse qu’il n’obtiendra jamais ». « Quand je repense au passé », dit-il, « je me souviens avant tout de ce que je ne t’ai pas dit ». Cette histoire d’une relation fondée sur le déséquilibre et l’absence à soi est donc l’histoire d’une rencontre impossible, d’une question à jamais insoluble. Celle de l’amour du père, aux deux sens possibles de ce du. Car aux attitudes contradictoires de l’un, capable un jour de donner au voisin le jouet préféré de l’enfant (« un jeu de société qui s’appelait Docteur Maboul ») et une autre fois de se dire fier de lui, répondent les ambiguïtés de l’autre, affirmant : « Pendant toute mon enfance j’ai espéré ton absence », mais avouant aussi avoir souhaité mourir après que son père l’eut renié.

     

    Problématiques exigences

     

    Au demeurant, la même interrogation était déjà au cœur des deux livres précédents d’Édouard Louis. Et on serait tenté d’ajouter : comme tout le reste. À commencer par l’autre question que pose le titre, et à laquelle les dernières pages donnent, en énumérant des noms de présidents et de ministres responsables de divers lois et dispositifs anti-sociaux, une réponse trop appuyée pour être convaincante. À part cette pesanteur supplémentaire, rien de bien nouveau, en fin de compte. L’obsession de l’origine, dont je parlais plus haut, est plus présente que jamais. Nous parlera-t-il un jour d’autre chose ? est-on tenté de se demander, au risque de provoquer l’indignation de l’intéressé.

     

    Car sa réplique est, bien sûr, toute prête : « Est-ce qu’il ne faudrait pas se répéter quand je parle de ta vie, puisque des vies comme les tiennes personne n’a envie de les entendre ? ». Et d’enchaîner : « Je n’ai pas peur de me répéter parce que ce que j’écris, ce que je dis ne répond pas aux exigences de la littérature ». Mais les répétitions, a-t-on envie de rétorquer, comme la fausse maladresse, la fausse froideur, le rythme claudicant de la phrase, c’est de la littérature ! Ses « exigences », dont on ne saura pas comment Louis les définit, sont satisfaites, pas de doute. Sauf qu’à vouloir obstinément s’y dérober, il risque de finir par atteindre son but. Et alors, qu’est-ce qui rendra certains de ses souvenirs inoubliables, qu’est-ce qui restera pour nous pousser à lire le récit des vies volées dont il se veut le porte-parole ?

     

    Enfin, pour l’instant, sa voix est toujours là. Prendra-t-elle, sur scène, des sonorités inédites ? Pour le savoir, rendez-vous l’an prochain au Théâtre de la Colline…

     

    P. A.

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