• Trois ex, Régine Detambel (Actes Sud)

    http-_scrat.hellocoton.frQue va devenir le genre de la biographie ? Genre parfaitement respectable, qui commande un certain sérieux et donna lieu à maints pavés avec notes, apparat critique, longues hypothèses mesurées quant aux zones obscures de la vie du modèle… Sera-t-il définitivement détrôné par le « roman biographique », auquel son appellation même semble conférer une rassurante légèreté, comme si le fait de sous-titrer « roman » la vie d’un grand homme libérait le lecteur aussi bien que l’auteur de toutes les obligations un brin ennuyeuses ?... Il y a, dirait-on, quelque chose de magique dans cette opération qui nous projette dans une autre vie avec d’autant plus de facilité qu’elle se donne pour « une histoire vraie » et d’autant plus de plaisir que l’éclat de la notoriété lui laisse quelque chose des charmes de la fiction. Si leurs vies sont des romans, alors pourquoi nos vies à nous n’en seraient-elles pas ? Entre « ils sont comme tout le monde » et « nous sommes tous exceptionnels », le lecteur d’aujourd’hui a besoin, apparemment, de ce chaînon intermédiaire par lequel le roman biographique lui propose une existence hors norme qui aurait pu être la sienne.

     

    « Trois ex » pour la galerie

     

    La nature du projet se découvre avec une particulière netteté quand sa réalisation prend des airs d’épure en se concentrant sur ce qui est son objectif principal : la contemplation fascinée du génie. De ce point de vue-là, le « roman » de Régine Detambel est un cas d’école. Car ne nous laissons pas abuser par l’affligeante vulgarité du titre, c’est bien le grand homme qui est ici le vrai sujet, ses « trois ex » ne constituant que prétexte et tribut rendu à un féminisme bien-pensant. Certes, ce sont trois « noces » suivies aussitôt de trois divorces qui structurent le récit : avec l’actrice finlandaise Siri von Essen, la journaliste allemande Frida Uhl, la comédienne suédoise Harriet Bosse. Mais on les perd vite de vue en cours de route : entre empathie pour ces pauvres femmes et fascination pour l’homme qu’elles ont eu le malheur d’aimer en dépit de sa misogynie légendaire, l’auteure ne tarde pas à choisir, et c’est autour de lui, August (Strindberg), que tout s’ordonne.

     

    Tout sauf l’essentiel

     

    Qu’a-t-il donc de si spécial ? On n’en saura en fin de compte rien, puisqu’il n’est jamais vraiment question de ce qu’il écrit : il écrit, c’est tout, les doigts en permanence « fous d’une faim dévorante », la « main droite repliée en griffes courbes, dans la position où l’écrivain tient son porte-plume », et la réduction symptomatique de l’acte au geste ramène le génie du créateur à un simple signe. « Il a besoin d’être assis à sa table » ; « La pièce le réclame. Elle veut être protégée comme une blessure »… Régine Detambel protège avec soin ce mystère de l’écriture, faisant ainsi de la figure de l’écrivain une pure image. Et comme la main en griffe ça reste malgré tout un peu mince en guise d’accessoire, on y ajoutera tous les autres : alcool, pauvreté, manies, anarchisme, alchimie, bref tout, sauf l’essentiel.

     

    Mais ce n’est pas l’essentiel qui importe ici : ce qui importe, c’est de ressasser jusqu’à l’hypnose l’idée qu’August était un type suffisamment à part pour que ça vaille la peine de se prendre pour lui, tout en laissant cette singularité assez imprécise pour que chacun s’en sente capable. Que reste-t-il du « roman de vie », ainsi réduit à sa vérité la plus nue ? Un récit court (c’est sa vertu), vite lu, et qui ne fait de mal à personne.

     

    P. A.

     

    Illustration : L’écrivain, Albert Anker (1831-1910), 1875.

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  • Commentaires

    2
    Guegan Marie
    Samedi 18 Mars 2017 à 08:59

    Vous n'y allez pas par le dos de la cuillère, Pierre Ahnne, pour cette virulente critique du livre de Régine Detambel que je n'ai pas lu. Je le lirai  comme souvent je lis  ced une disposition intérieure  en quête de quelque chose de soi que je ne sais pas. J'oublierai enfin j'essayerai de l'oublier votre critique pendant ma lecture et j'y reviendrai plus tard. Merci encore à vous.

     

     

      • Samedi 18 Mars 2017 à 15:54

        Vous me direz : peut-être y verrez-vous quelque chose à côté de quoi je suis passé.

         

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