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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

La Maison de Bretagne, Marie Sizun (Arléa)

photo Pierre AhnneIl y a souvent des maisons, chez Marie Sizun. On pense à La Maison-Guerre, évidemment. À la maison de Meudon dans La Gouvernante suédoise, à l’inoubliable immeuble populaire d’Éclats d’enfance (1). Des maisons ou, en tout cas, des lieux, qui sont souvent les vrais héros, mais, d’habitude, on ne le dit pas. Alors qu’ici ils ont explicitement le premier rôle.

 

Claire Werner est une « vieille fille » de 48 ans. Cet automne-là, elle est de retour dans la maison que sa grand-mère avait acquise à L’Île-Tudy et où elle-même a passé toutes ses vacances, jadis, avec son père, jusqu’à la désertion de celui-ci, sa mère, jusqu’à sa mort, sa sœur plus jeune jusqu’à ce qu’elle se soit éloignée de la famille. Cette maison, Claire ne l’aime plus. Trop de mauvais souvenirs, ou, plutôt, de souvenirs troubles, mal éclaircis et qu’elle n’a pas envie d’éclaircir. Elle n’est revenue que pour vendre.

 

La maison enchantée

 

Seulement, il y a un cadavre, et un vrai, pas tout à fait dans un placard mais quand même dans une petite chambre du rez-de-chaussée. Il est encore tout frais. Police, scellés, interrogatoires… Voilà notre héroïne retenue sur les lieux pour une semaine. C’est au cours de cette semaine que tout va se dénouer.

 

Je ne parle pas du mystère policier, bien sûr, lequel se révélera tragiquement banal. Les vrais événements sont ailleurs, dans le retour sur soi et sur le passé que ce séjour breton et forcé déclenche chez la narratrice. « Je m’étonnais d’être là, à flâner, quasi tranquille, plus soucieuse de mes souvenirs que de l’affaire qui aurait dû m’occuper », observe celle-ci. Ce sont en effet les cercles de la mémoire qui vont s’ouvrir successivement : sur un père adoré, une sœur fragile et négligée, une mère faussement (?) indifférente. Avec chacun, Claire, la finalement bien nommée, mettra enfin au net son histoire et ses sentiments. Et ce récit, qui commençait dans « le demi-jour » d’une pièce aux volets clos, où « on distinguait mal (…) des meubles aux contours imprécis », va nous faire partager la montée progressive de la lumière.

 

« Un temps à peindre »

 

À la fin, que se sera-t-il passé ? Un simple déplacement dans la manière de voir les choses, et tout l’humour et l’élégance de Marie Sizun se retrouvent dans cette manière de déployer l’apparat des histoires à macchabées et à suspense pour mettre en scène, en somme, un changement d’humeur. Il aura été question du temps qui passe, du temps qui revient… du temps qu’il fait. Les notations de couleurs et de lumière sont toujours très présentes chez Marie Sizun, mais elles prennent cette fois une signification particulière. Car La Maison de Bretagne, c’est aussi une histoire de peintres et de peinture. Le père évaporé était peintre. L’héroïne, quand elle peut, peint. Marie Sizun elle-même est peintre à ses heures. Et, dans son roman, le « temps », comme l’affirme, dans un involontaire double sens, un des personnages, est constamment « à peindre ».

 

On est en Bretagne… « Un soleil humide (…) pas[se] de moment en moment entre les nuages ». Puis, soudain, « un afflux de lumière » : « le sable humide et plat étincel[le]. Au loin, cet éblouissement vert, rectiligne, c’[est] la mer ». Parfois, elle prend « une profonde et riche couleur d’huître ». Parfois aussi elle disparaît derrière un « rideau de gaze blanche », puis, « çà et là se voi[ent] comme un frémissement, une hésitation entre diverses nuances de blanc qui, peu à peu, pren[nent] la forme de longues strates floconneuses ».

 

Sortie du brouillard, sortie du blanc ou de la pénombre… Mais on est au-delà de la métaphore : les détails du paysage disent les états d’âme de l’héroïne ou, mieux encore, les provoquent. Et c’est cette imbrication de l’être humain et des choses que peint Marie Sizun, de son pinceau subtil.

 

P. A.

 

 

(1) La Maison-Guerre, 2015, La Gouvernante suédoise, 2016, Éclats d’enfance, 2009, tous chez Arléa.

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