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Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...

Le Collège de Buchy, Jérémie Lefebvre (Lunatique)

www.atlaspaysages.hautenormandie.frJ’ai déjà parlé de Jérémie Lefebvre, qui avait publié, aussi chez Lunatique, Danse avec Jésus, curieux roman se déroulant dans le milieu des catholiques adeptes du « renouveau charismatique ». Le choix d’un tel sujet annonçait, on en conviendra, un auteur peu soucieux de l’air du temps et de ce-qui-doit-se-faire. Il revient aujourd’hui avec un livre plus court, plus concentré, qui se signale d’abord par la simplicité (on n’ose dire biblique) du sujet : le narrateur anonyme raconte, au passé, comment il a été, pendant ses années de 6e et de 5e, au collège du titre, le souffre-douleur de ses condisciples. Et voilà tout.

 

Ce qui est réjouissant dans ce récit réduit à l’épure, c’est sa méchanceté. Il y a des gens qui trouvent que mes propres romans manquent d’indulgence et de tendresse, eh bien je leur conseille d’aller un peu lire Lefebvre. À côté de son narrateur, je suis une sorte d’Hector Malot. Si ses petits camarades ont été méchants avec lui il le leur rend bien, d’ailleurs peut-on parler de petits camarades quand il s’agit de « bêtes féroces » ? « Si j’avais de la chance, je trouvais une place [dans le car de ramassage scolaire] sur une banquette sale à côté d’un animal féroce, mais en général je n’avais pas de chance, je restais debout ou alors sur un strapontin, objet de la férocité des collégiens animaux, et je passais tout le trajet à me demander à quel moment lequel de ces animaux allait m’injurier ou me donner un coup dans l’estomac pour le plaisir de me voir fondre en larmes ». Puis le car arrive à destination et « le premier professeur [vient] faire mettre en rang les bestiaux ». Le ton est donné. Exception faite pour la prof de musique, ce ne sont pas les enseignants qui vont relever le niveau, que ce soit madame Rochas, qui écrit au tableau « avec une rage qui [fait] tressauter son chemisier » ou madame Levieux, qui, « si elle n’avait pas été professeur d’EPS, (…) aurait probablement excellé dans l’exploitation de bordels d’enfants aux Philippines ».

 

Il est vrai que l’ambiance, de façon générale, n’est pas gaie : « Je souffrais sous le crachin persistant à travers le demi-jour lugubre du pays de Bray, dans l’odeur froide des corps mal lavés et des banquettes poisseuses ». L’enfant martyr est un fervent catholique mais ce n’est pas ce qui va l’aider, Jérémie Lefebvre tire même des effets d’un comique certain du décalage entre les aspirations spirituelles de son héros et le milieu dans lequel il est contraint d’évoluer (« Sur la poutre, je m’efforçais de faire abstraction des ricanements (…) et de garder mon équilibre en pensant à Jésus exposé à la foule hurlant : "Barrabas ! ", et de me dire que ce que je vivais était quand même plus agréable »). D’ailleurs tout est décalé dans ce livre, à commencer par la phrase, dont l'élégance contraste avec le caractère apocalyptique et l’excès ostensible du propos.

 

Malgré tout on finirait par trouver ça un peu répétitif et dépourvu de nuances, ne serait-ce qu’au sens purement musical du mot. Mais c’est cette absence de nuances qui fait aussi la force et la radicalité du livre. Ici, pas de psychopédagogie, Dieu merci. Quant au mot de harcèlement, qui ramènerait les comportements évoqués dans la catégorie rassurante des sujets de société, il n’est même pas prononcé. Ce qui ne veut pas dire que la dimension socio-politique soit absente du roman de Lefebvre. On sait, depuis La Société de consolation (Sens & Tonka, 2000), son intérêt pour le monde comme il va. Et sa vision du collège comme lieu de formatage des individus, dont ils sortent « détruits à l’intérieur » si bien qu’ « on peut leur faire acheter n’importe quoi et les faire voter pour n’importe qui », s'inscrit, on s'en doutait, loin de la niaiserie bien-pensante de rigueur sur pareils sujets.

 

Et puis il y a ce surprenant glissement final, dont on ne dévoilera pas les détails mais qui, en une sorte de travelling arrière, instaure enfin entre les événements et nous une distance, justifie rétrospectivement l’âpreté du ton, éclaire, sans les dissiper complètement, les zones d’ombre. Et fait du texte un vrai roman, où Jérémie Lefebvre confirme une originalité qui mériterait bien qu’on y soit plus attentif.

 

P. A.

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