Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.
« J’aime les écrivains qui ne sont pas situables », disait Stéphane Lambert au cours de l’entretien que nous eûmes, il y a déjà sept ans. On pourrait sans hésiter lui appliquer cette formule. Pour la diversité de son œuvre déjà abondante, où la poésie (Écriture première, La Lettre volée, 2020) coexiste avec le roman (Paris Nécropole, L’Âge d’homme, 2014) et l’autobiographie (Mon corps mis à nu, Les Impressions Nouvelles, 2013). Plus sûrement, parce qu’il invente, dans ses livres consacrés à des écrivains, tels Hawthorne et Melville (voir ici) ou, surtout, à des peintres, comme Goya, Spilliaert ou, dernièrement, Klee (voir ici, ici et ici), une manière singulière de parler de l’art. Transgressant les règles et les frontières de l’essai, de la biographie, de l’autobiographie, Lambert cherche, comme il le dit encore, à « comprendre pourquoi certaines peintures [ou certains livres] lui font cet effet ». Atteindre un point de rencontre possible avec l’artiste, donc. Et, au-delà, le lieu d’une « humanité commune » où les destins individuels s’estompent dans le mystère de la présence au monde.
Mais ce souci exigeant est au cœur de tous les livres de Stéphane Lambert, quelle que soit la forme qu’ils adoptent : il l’oblige à les traverser toutes, et à en créer de nouvelles.
L’Écho de tes livres
Longtemps tu erres
Tu crois pouvoir te passer de tout signal extérieur
Tu te répètes « je n’ai besoin d’aucun regard, toute réussite est un échec quand elle dépend d’autres yeux »
Dans les livres spirites, tu soulignes ce qui exhorte à ne plus rien attendre
Ta seule voie passe par ton intériorité
Tu fais tienne cette loi : la vraie joie est ascèse et manque
Dans l’écriture, tu plonges au fond du puits solitaire
D’abord l’isolement te pèse au point de presque t’anéantir
Les premières heures tu luttes pour ne pas sombrer
Puis s’ouvre la porte d’une seconde vie où tu perds le fil des jours
Pendant des semaines tu baignes dans une fertile autarcie où le soleil du texte en train de se former t’éclaire
Plus tu grimpes, plus une énergie te pousse
Dans la broussaille de l’existence tu avances en traçant un chemin
Au sommet de la montée la lourdeur est devenue si légère que l’air t’entraîne dans son élan
Tu dévales la pente comme l’on pourrait s’envoler
Et lorsque la course des mots touche à sa fin, tu remets difficilement pied à terre
Tu titubes comme un nouveau-né
Le soulagement de l’accompli n’est pas assez grand pour absorber le vide qui s’impose alors
Tu patauges des journées entières dans une écœurante inertie
De ton expédition intérieure tu commences à douter
Tu ne connais plus la valeur de ce que tu as ramené
Lentement tu reprends goût à la vie
Tu as hâte de partager ce que tu as récolté
Tu ne peux t’empêcher d’imaginer ce que tu t’interdis
L’espoir que cela fructifie
Puis tu repenses au livre des morts
Vanité des vanités tout n’est que vanité
Illusion et mirage le succès est un leurre
Seule compte la bataille contre ce qui t’empêche
Écrire c’est vaincre le mur de la peur
Dehors tu joues les distanciés, les modestes
Mais secrètement la lueur d’espoir se précise
Tu n’as pas renoncé à l’ambition salvatrice
S’annonce enfin la sortie des ténèbres
Les premiers échos t’enivrent du plaisir de ressusciter
Voilà que ton nom s’imprime çà et là
Que d’autres le prononcent
Mais en ces lointains propos tu as du mal à te reconnaître
Celui qui circule dans la parole d’autrui ne se confond pas avec celui qui entend ce qui se dit
Il y a toujours une césure qui fait que moi c’est « tu »
D’où vient cet écho aux mots que tu as patiemment agencés
Qui a écrit ce livre dont le monde disserte
Après avoir forcé ses portes l’inconnu serait-il redevenu impénétrable
Mais soudain, alors que le lien semblait coupé, la source se réactive
C’est à ton tour de parler
Les mots que tu prononces pour évoquer ceux que tu as écrits te replongent dans le bouillonnement de l’écriture
Le profond puits solitaire
Comme s’il y avait en toi un autre toi à l’origine de tes livres
Une sorte de démon voué à cette ingrate tâche d’écrire
Que tu réveillerais chaque fois que le besoin de formuler t’anime
Tel un impératif endormi dans l’ombre de toi-même
Stéphane Lambert