Critique littéraire, billets d'humeur, entretiens avec des auteurs...
Voici l’année nouvelle. L’année littéraire, bien sûr, qui commence cette semaine. La précédente a été mouvementée, tout le monde s’en sera aperçu, traversée non seulement par le malin virus mais par toutes sortes d’affaires, qui touchaient le monde littéraire ou des arts en général. Vous remarquerez que je n’en ai rien dit. Ma discrétion proverbiale, sans doute, ou, plus probablement, le fait que ce blog, comme son nom l’indique, s’occupe de littérature — pas de la vie des personnes civiles.
Je continuerai, pour la dixième année, à lire, dans cet esprit, ce qui se publie, et à en parler à celles et à ceux qui voudront bien continuer eux-mêmes de me lire. Attentif aux continuités et aux métamorphoses du roman, que cette rentrée illustre de façon particulièrement spectaculaire. Il est un peu trop tôt pour que s’abatte la prévisible avalanche d’histoires de pandémie. Mais la dystopie est bien là (Ilan Duran Cohen, Le Petit Polémiste, Actes Sud), comme le roman de reconstruction après traumatismes de diverses sortes (Sarah Manigne, Quitter Madrid, Mercure de France ; Hélène Veyssier, Comme une ombre portée, Arléa ; Marieke Lucas Rijneveld, Qui sème le vent, Buchet-Chastel), et l’histoire de genre commence à s’installer (Julien Dufresne-Lamy, Mon père, ma mère, mes tremblements de terre, Belfond).
Cependant l’autofiction n’a pas dit son dernier mot (Camille Laurens, Fille, Gallimard), le roman biographique non plus (Sandrine Willems, Consoler Schubert, Les Impressions Nouvelles ; Caroline Deyns, Trencadis, Quidam). Le tableau d’époque se porte toujours bien (Simon Liberati, Les Démons, Stock ; Barbara Kingsolver, Des vies à découvert, Rivages), le roman rural, parfois teinté d’écologie, confirme son retour (Vinca Van Eecke, Des kilomètres à la ronde, Seuil ; Florent Marchet, Le Monde du vivant, Stock). La famille reste une valeur sûre (Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils, Buchet-Chastel ; Céline Debayle, Les Grandes Poupées, Arléa ; Pia Malaussène, L’Aurore, Mercure de France). Et, partout, les enfants ou les adolescents abondent, ce qui prouve que le bon vieux récit d’éducation, qui se glisse sans effort dans tous ces cadres, ne se démode pas.
Bien sûr, les plus intéressants parmi ces titres sont ceux qui se jouent des catégories et ne les empruntent que pour s’en démarquer. Sans compter les franchement inclassables, surtout quand je ne les ai pas encore lus (Sabyl Ghoussoub, Beyrouth entre parenthèses, L’Antilope ; Oscar Lalo, La Race des orphelins, Belfond ; Hervé Le Tellier, L’Anomalie, Gallimard). Et ce n’est pas fini.
Je vous souhaite une bonne rentrée, sans autre virus que celui de la lecture. Et, par goût de la contradiction ou souci de la cohérence, je dirai d’ores et déjà quelques mots d’un ouvrage qui n’est pas un roman et témoigne de vies véritables, mais vouées à s’anéantir pour laisser toute sa place à l’œuvre — au point que les auteures en question ont d’abord présenté celle-ci sous des pseudonymes masculins.
Je parle de la famille Brontë, dont Gallimard, dans sa collection « Folio classique », publie des Lettres choisies, traduites, remarquablement, et annotées par Constance Lacroix, dont j’ai déjà vanté les talents (voir ici). Elles se succèdent de 1821 à 1855, année de la mort de Charlotte, qui les signe presque toutes, le reste de la correspondance familiale étant réduite à l’état de vestiges. On voit, au fil du volume, mourir Branwell, le frère, puis Emily, puis Anne, et l’auteure de Jane Eyre connaître le succès qu’on sait. Elle raconte ses journées monotones, quand « la tempête fait rage » et que « la plainte continuelle du vent [la] remplit d’une intense mélancolie ». Mais aussi la rencontre des éditeurs londoniens stupéfaits et de Thackeray (dont Roland Barthes, dans le film de Téchiné, tenait le rôle). Elle approuve ou déplore les critiques consacrées à ses livres, et affirme que « la Vérité vaut mieux que l’Art ». Bonne rentrée, encore une fois.
P. A.