• Alice et les autres, Vinciane Moeschler (Mercure de France)

    www.renodepot.comRésumons-nous. Alice, fille d’une mère droguée disparue à 20 ans, a été élevée par une grand-mère négligente et un grand-père incestueux. À 15 ans, de premières crises ont marqué le début d’un « trouble dissociatif de l’identité », conséquence des abus subis dans son enfance. Soignée, remise, croit-on, elle rencontre Guy, qui, en toute connaissance de cause, l’épouse. Grand amour réciproque. Pourtant, tout recommence : madame Morin, femme de Guy, et bientôt la mère de trois enfants, devient, à chaque rechute, alternativement Alice (elle-même quand elle était petite fille), Émile (le grand-père), Betty (une femme facile), Jasmine (une infirmière sérieuse). Le réel docteur C., psychiatre, s’active. Il croit enfin avoir réussi. Est-ce vraiment le cas ?

     

    Jeu de piste

     

    Je n’en dirai pas plus. D’ailleurs, j’en ai sans doute déjà trop dit. Mais il le fallait, pour mettre en évidence ce qu’il y a de plus intéressant dans le roman de Vinciane Moeschler : la construction, ou peut-être faudrait-il dire la déconstruction que, mimant les symptômes dont souffre l’héroïne, l’auteure fait subir à son histoire. Première partie : Je. Alice, à la première personne, y raconte ses premières crises. La deuxième partie, Et les autres, est composée de monologues où, des années plus tard, prennent la parole tantôt madame Morin, tantôt ses doubles (ses « alters », pour parler comme C.). Il faut un certain temps au lecteur pour comprendre le phénomène et ses causes, pour se repérer dans les divers locuteurs, pour écarter les fausses pistes, dont certaines sont de vraies pistes (une maison près de la forêt, des chasseurs, le fusil du mari, suspect un temps de double vie…). Fausses ou vraies pistes qu’il faudra apprendre à distinguer des authentiques indices (la femme de Guy collectionne les poupées, bannit les miroirs, refuse de se faire prendre en photo).

     

    3) Le mari, monologue de Guy Morin. C’est le moment de la mise au clair. Retour en arrière jusqu’à la rencontre et au mariage, qui nous ramènera là où on avait laissé madame Morin à la fin de 2. Le docteur C., au passage, commente et explique, comme un psy chez Hitchcock (« Se dissocier, c’est perdre conscience, en mettant à la place des mécanismes de protection, suite à [sic] un vécu traumatique »). Suivent les parties 4) Les fils et 5) Lou — c’est la fille. Les susdits s’expriment pour le coup de théâtre final (je ne dirai rien) et l’épilogue.

     

    « Petite chose broyée »

     

    C’est le meilleur du livre, ce jeu de piste dans un labyrinthe tapissé de miroirs, dont chacun renvoie à tous les autres en un complexe jeu d’éclats. Bel écrin. Seulement c’est toujours pareil avec les écrins, tout dépend de ce qu’on y met. Ce que Vinciane Moeschler, éblouie par son propre sujet, qui lui semble sans doute suffisamment passionnant en lui-même, met dans celui-ci, c’est quelque chose de passablement mélodramatique et somme toute d’assez convenu. Voici un grand-père ancien mineur, qui s’appelle Émile, un mari courtier en assurances, la province, une maison « plutôt coquette », avec « un nain [qui] tient une lanterne » et « un petit écureuil en fer forgé », bref, tout ce qu’il faut. Notre romancière, qui est également auteure de théâtre, fait entendre uniquement des voix. Procédé tout à fait adapté à son sujet (encore) mais dont elle s’autorise pour user d’une écriture qui hésite entre « Alors que je te pensais apaisée, je constate (…) que tu es à nouveau sujette à un malaise » et « Putain ce que la vie fait mal ». Sans parler de : « J’ai baissé la garde, pas les bras », ou de : « Petite chose broyée, qui es-tu ? » Le tout avec retour incessant à la ligne, on ne sait pas trop pourquoi, poésie ou image du chaos intérieur, probablement.

     

    Tout cela, au total, ressemble fort à une affaire de gens simples et vivant en périphérie, tels que se les représente une habitante éclairée de la grand-ville. Que Vinciane Moeschler anime des ateliers d’écriture en structure psychiatrique, dont elle a pu éventuellement s’inspirer, n’y change évidemment rien. Même les « alters » de madame Morin, produits par elle, ne peuvent selon toute apparence être, eux aussi, que des clichés.

     

    Je suis injuste. Dans la dernière partie s’esquisse une vraie réflexion sur folie et normalité, vérité et illusion, voire dissociation et art. Mais c’est dans la dernière partie, et une esquisse… Pour l’essentiel, qu’avons-nous là, en fin de compte ? En l’absence de toute contextualisation, familiale, sociale, historique (pour une fois que ç’aurait été utile !), reste l’histoire d’un cas. Ça n’est jamais tout à fait sans intérêt, les cas, bien sûr…

     

    P. A.

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