• Auteurs méconnus : Oriane Séduret, la révolte comme destin

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    Tout vient de son prénom, de cet aristocratique et proustien Oriane accolé à un nom de famille qu’elle considérait comme « désespérément petit-bourgeois ». « Un nom d’objet », ajoutait-elle. « Et même pas. Si encore je m’étais franchement appelée Tabouret… » (entretien accordé à L’Express en 1955, et qui constitue la principale source d’informations sur elle, avec ses romans).

     

    Le contraste entre nom et prénom, qui plaçait dès le départ sa vie sous le signe du déséquilibre et de l’inconfort, était donc, de son propre aveu, une des causes de la véritable haine qu’elle voua à ses parents, en qui elle voyait la parfaite incarnation du ressentiment et de l’appétit pour les « grandeurs de Prisunic ». Haine dont celle de la famille en général, thème récurrent dans son œuvre, n’a peut-être été qu’une conséquence… Ce sentiment s’exprime dès son premier roman, La Mauvaise Tête (1955), évocation apocalyptique de l’enfance et de l’adolescence. Cependant il se traduit aussi, plus ou moins directement, dans tous ses choix : celui d’une existence farouchement indépendante et parfaitement insoucieuse de la réussite sociale (elle fut ouvrière, correctrice d’imprimerie, employée des postes…) ; celui, transgression extrême à son époque, d’une vie sentimentale et sexuelle qui coupait court aux risques de respectabilité comme de descendance — son deuxième roman, L’Ingrate (1958), est le récit sans fard, quoique non sans pudeur, de ses amours avec celle qu’elle appelle Annick. Enfin, son engagement dans un réseau de soutien au FLN, qui l’oblige à s’exiler brièvement à Bruxelles en 1961 pour rentrer en France après l’amnistie de 1962, peut sans doute être interprété, quelque sincère qu’il fût, comme une autre forme de défi lancé à la bonne société.

     

    « Jamais contente. Écorchée vive. Sa mère l’avait toujours bien dit — et répété : c’était son style ». Elle se décrit ainsi sous les traits de Marianne, l’héroïne de son troisième roman, Les Vents et les marées (1960), dans lequel elle reprend encore une fois, à la troisième personne, tout son parcours. Annonciatrice résolue de l’autofiction, aurait-elle pu parler d’autre chose que d’elle et de son histoire convulsive ? Le sentiment que c’était impossible et qu’elle avait déjà tout dit doit-il être rangé parmi les causes de son suicide en 1963 ? Ou faut-il y voir surtout une forme ultime de cette révolte qu’elle brandissait comme un étendard et portait comme une croix (qu’elle n’ait jamais envisagé de changer le fatal alliage nom-prénom pour un pseudonyme est, de ce dernier point de vue, révélateur) ?...

     

    « Vos feux, vos rampes, très peu pour moi. Gardez vos lauriers pour vos sauces », écrivait-elle dès La Mauvaise Tête. La postérité l’a exaucée, peut-être plus qu’elle n’aurait voulu, au point qu’il est pratiquement impossible de trouver ses livres, tous parus chez Sézerac, éditeur qui tenta d’acquérir une visibilité dans les années 1950-60 mais sombra vite. La courte vie d’Oriane Séduret, son œuvre réduite à trois titres ne suffisent pas à expliquer sa quasi-disparition dans les mémoires. On aurait pu croire qu’elle devait être portée par la vague de ces écrivaines qui commençaient à faire parler d’elles en son temps, les Christine de Rivoyre, Françoise Mallet-Joris, Christiane Rochefort… Mais elle n’entrait décidément dans aucun moule : sa fureur hors norme, son égocentrisme fiévreux l’en empêchaient, et son écriture, hachée, trépidante, tournant parfois à la pure éructation nominale, s’y opposait aussi, qui devait faire d’elle aux yeux de ses contemporains quelque chose comme une sorte de Céline féminin. Déjà, Céline, en ces années… Alors, en plus, féminin — et féministe… Elle dut faire peur. C’est bien dommage.

     

    P. A.

     

    Illustration : Félix Vallotton, Femme et guitare, 1913

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