• Claudie Hunzinger, aimez-vous parler de vos livres ?

    Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

     

    Plasticienne, elle a fabriqué d’étranges objets, livres d’herbe et bibliothèques de cendre. Écrivaine, elle s’est fait connaître avec Bambois, la vie verte (Stock, 1973), où elle racontait, dans des années encore proches de 1968, son installation avec son compagnon dans une ancienne ferme isolée, quelque part au sein de la forêt vosgienne.

     

    Plus récemment, elle a mis en roman l’histoire de sa mère (Elles vivaient d’espoir, 2010, et L’Incandescente, 2016, l’un et l’autre chez Grasset). À sa manière. Celle que l’on retrouve dans les romans (voir ici) dans lesquels elle nous ramène, inlassablement, à sa maison des bois, posée aux limites de la civilisation et de la nature sauvage. Claudie Hunzinger est une auteure des limites. Qui s’efforce, par les moyens de son écriture toute en ruptures, de ressaisir les liens de l’unité toujours en fuite entre l’être humain et le monde.

     

     

    photo France Siptrott

     

     

     

    Cher Pierre Ahnne, j’étais en retard et je vous avais envoyé ce petit texte, né à la va-vite, en une minute, sans y penser, en réponse à votre question : Aimez-vous parler de vos livres ?

     

    Est-ce que j’aime parler de mes livres ? 

     

    Pour moi, la question ne se pose plus. J’ai fini d’essayer. À présent, quand on m’invite à parler d’un de mes romans, c’est comme si une petite voix me conseillait de rester où j’étais. Ne va rien expliquer. Les idées, c’est pas pour toi. Balaie direct les idées. Ne philosophe pas. Ne théorise pas davantage. Ne la ramène pas de ce côté. Tu n’es pas une ornithologue. Tu es un oiseau. Chante. On ne te demande rien de plus. Reste dans tes broussailles.

    Donc, la veille d’une rencontre en librairie ou dans un salon de livres, au lieu de préparer mon sac, je reste chez moi, ayant envoyé une autre que moi parler en mon nom. Et si on vous annonce ma venue, sachez que ce ne sera pas moi. Que je suis dans ma chambre, la fenêtre ouverte sur la nuit, prête à rejoindre Janet Frame qui m’attend dans le cerisier. 

     

    Vous m’avez très gentiment répondu que c’était un peu court.

    J’étais bien de votre avis.

    Donc, comme vous m’avez laissé du temps, j’ai essayé de développer.

    Ce qui a donné :

     

     

    Est-ce que j’aime parler de mes livres ?

     

    J’aimerais tant dire que pour moi la question ne se pose plus. Dire : J’ai fini d’essayer. Écouter cette petite voix qui de plus en plus me conseille de rester où je suis. Ne va rien expliquer. Les idées, c’est pas pour toi. Balaie direct les idées. Ne philosophe pas. Ne théorise pas davantage. Ne la ramène pas de ce côté. Tu n’es pas une ornithologue. Tu es un oiseau. Chante. On ne te demande rien de plus. Retourne à tes broussailles.

     

    J’aimerais tant, la veille d’une rencontre, au lieu de préparer mon sac, envoyer une autre que moi parler en mon nom. Et retourner dans ma chambre. Comme chaque fois, la fenêtre est ouverte sur la nuit. Un arbre a pris la place de ma table de travail. C’est un cerisier. Je cherche à y grimper. Ne sais pas voler. Est-ce que les branches seront assez solides pour accueillir un oiseau sans ailes. Je ne suis que ça. En tout cas, pas un être humain. Longtemps, je me suis ressentie comme une anomalie, pas née dans la bonne espèce, et je me répondais, c’est impossible, tu n’es pas une anomalie, ce qu’on ressent, on n’est jamais seul à le ressentir. Tu as certainement une sœur quelque part. En effet, j’en avais une. D’ailleurs elle est là. Un peu plus haut dans les branches. Elle m’attend dans le cerisier. Elle, elle a des ailes. Janet Frame n’a-t-elle pas écrit dans Vers un autre été — à la fois son premier roman, matrice d’Un ange à ma table, et son livre posthume, n’ayant jamais voulu qu’il soit publié de son vivant tant elle y affirmait — plus de douze fois — qu’elle n’était pas un être humain mais un oiseau migrateur que les humains effrayaient ? Sa lecture, un choc, une totale surprise, la joie, avait légitimé en moi ce sentiment d’étrangeté qui me constitue en profondeur.

     

    Et alors ?

     

    Alors, si dans mon arbre je pense à la rentrée prochaine, si je me demande est-ce que je vais remettre ça, encore une fois, sortir de chez moi pour aller parler d’Un chien à ma table, mon dernier roman, peut-être dans les deux sens du terme, qui sait ? — alors je me réponds c’est possible. Mais si dans une librairie ou dans un salon des livres, on annonce ma venue, je sais déjà que ce ne sera pas moi. Cela n’a jamais été moi.

     

    Cher Pierre Ahnne, je ne suis pas sûre que ce soit suffisant. Vous pouvez très bien, et j’en serais enchantée, me dire de développer ça encore un peu plus. Mais c’est tout le sujet de mon dernier roman.

     

    Claudie Hunzinger

     

     

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