• Compléments du non, Aurore Lachaux (Mercure de France)

    www.rtl.fr/actu/futurLe trou noir du roman continue à tout aspirer : la biographie après l’autobiographie, l’essai, la poésie elle-même… Ce pantagruélisme, en anéantissant toutes les particularités possibles d’un genre déjà peu dessiné, autorise les tentatives les plus hybrides. Ainsi, Aurore Lachaux, dans ce premier roman, sous-titré comme tel, propose une chimère assez radicalement originale : le pamphlet-récit-de-deuil-elliptique.

     

    Le deuil, c’est le deuil du père, ingénieur amoureux du travail bien fait (« Il aurait pu être un sacré trou de balle mon père, avec ses diplômes (…), mais je crois qu’il avait trop d’admiration pour le geste »), qui, licencié tardivement pour cause de compression, se retrouve « recasé sans une grande boîte internationale » où il découvre les joies de l’entretien d’ « évaluation » : « Il allait être noté, (…) on allait éplucher son travail, (…) lui balancer des courbes, des chiffres, des plus plus, des moins là parce que racine carrée de sa mère la pute sur un diagramme ». Quelques mois après qu’on lui a signifié l’impossibilité de lui accorder une augmentation, vu son grand âge (« Comme ça. Dans ta face de crouton »), il meurt.

     

    Non-dire

     

    « L’ellipse n’est pas le flou », nous dit l’auteure dans une curieuse note en fin de volume, « elle aurait plutôt à faire avec le dire du non-dit ». Belle formule, qui souligne, s’il en était besoin, que le temps qui suit le décès est consacré par sa narratrice à dire non. Non, on l’a vu, au monde de l’entreprise et à ses exigences de rentabilité. Mais aussi au monde de l’école, qu’elle expérimente d’abord, en banlieue parisienne, comme maître auxiliaire (« En gros, prof qui n’a pas le concours payé à 1350 euros net pour dix-huit heures ») ; puis, ayant passé le fameux concours, la voilà « balancée » dans « une ville merdique, enfin, pauvre », et, chose curieuse, dans « un bahut catho », où la prof d’anglais (et « y a pas qu’elle ») a « une croix en strass autour du cou et une chemise en polyester fin avec des croix en motif ».

     

    Autre refus, celui de la maternité : « Satisfaction mince (…), celle de savoir que personne n’aura à me veiller (…). Faire le choix de ne pas avoir d’enfant (…), c’est faire le cadeau d’un non-deuil à quelqu’un qui n’existe pas ». Et de se réjouir de ne pas avoir à s’intéresser à « toutes les merdes qu’on aime quand on est enfant, et qu’on délaisse à mesure que l’alcool, le cul, la littérature et le rock’n’roll vous sauvent de ce petit paradis miniature ».

     

    Les dangers de l’ellipse

     

    Les voisins du père, les habitants du village où se trouve la maison de famille, bien d’autres gens encore en prennent pour leur grade. Et il y a quelque chose de revigorant et de sympathique dans cette colère née d’une perte, ou qui trouve en elle la possibilité de se déchaîner sans réserve. D’autant que, pour la dire, Aurore Lachaux, qui, comme le père de son héroïne, laquelle s’appelle aussi Aurore, a le goût des belles machines polies en atelier, forge l’instrument nécessaire : une écriture trouée, chaotique, éructante, emportant tout sur son passage, lecteur compris.

     

    Jusqu’à ce que l’usage qu’elle fait de l’ellipse, du « non-dit », de l’à-peine indiqué, finisse par se retourner contre elle. Qu’ont fait exactement ces méchants voisins, à propos desquels elle esquisse une histoire de cartons pas très claire ? Et ces villageois, coupables de quelque méfait en rapport avec une sombre affaire de parking ? Ce chef d’établissement, quel est son tort, à part d’avoir dû annoncer à l’héroïne que, « contractuelle », elle allait être remplacée à son poste par un titulaire ?...

     

    On se lasse un peu, à mesure, de ce qui finit par apparaître comme une vindicte universelle et sans ironie, n’épargnant, en gros, que la sœur, les parents, les élèves (bien entendu), et la narratrice. Car on peut, et comment, traîner tout le monde dans la boue, mais encore faut-il s’y rouler un petit peu aussi soi-même. En le faisant, Aurore Lachaux aurait donné encore plus d’authentique vigueur à un petit livre qui, déjà, n’en manque pas. Ce sera pour la prochaine fois. On s’en réjouit à l’avance.

     

    P. A.

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