• Éric Faye, aimez-vous parler de vos livres ?

    Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

     

    Dans l’entretien qu’il a accordé à ce blog, Éric Faye révélait que, vers l’âge de 20 ans, il voulait être compositeur. Devenu, en fin de compte, écrivain, il fait entendre à son lecteur une musique singulière, sans cuivres sonnants ni grosse caisse, mais reconnaissable tout de suite à sa trompeuse et séduisante transparence. On la retrouve aussi bien dans les quelque vingt romans et recueils de nouvelles dont il est l’auteur que dans ses récits de voyage (dont certains écrits en collaboration avec Christian Garcin, voir ici et, tout récemment, ici). D’ailleurs, les deux types d’ouvrages et d’inspiration échangent volontiers leurs caractéristiques, quand ils ne convergent pas franchement (comme dans le remarquable Éclipses japonaises [Seuil, 2016, voir ici]). Rien d’étonnant pour qui pratique volontiers le fantastique en mode insidieux. Réalité ou fiction, dépaysement géographique ou sentiment d’étrangeté, c’est le fait d’être au monde que cet écrivain prolifique et secret sait, sous tous les cieux, nous rendre étonnant.

     

     

    Éric Faye, aimez-vous parler de vos livres ?

     

     

                Il y a bien longtemps (quinze ans déjà ?), j’ai fait revivre dans un roman (L’Homme sans empreintes [Stock, 2008]) la figure du mystérieux écrivain B. Traven, qui vécut sous de multiples identités, n’accorda jamais d’interviews et fit tout pour effacer ses traces, au point qu’aujourd’hui encore, un demi-siècle après sa disparition, on ignore jusqu’à la langue dans laquelle il a écrit certaines de ses œuvres : anglais ? allemand ?, où il naquit et sous quelle identité. Par son attitude comme dans ses écrits, B. Traven professait une chose capitale : l’écrivain n’a pas à expliciter ses textes, il n’a pas à donner d’éléments biographiques susceptibles d’aider la critique à plaquer dessus une lecture particulière. Les textes doivent parler d’eux-mêmes, et l’écrivain lui-même n’a pas à apparaître en chair et en os. Il est déjà partout dans ses textes. Il est ses textes.

                « Nous abritons un sauvage en nous, et nous portons peut-être un nom sauvage enregistré quelque part comme le nôtre », écrivait notre écrivain mystère. Le fait d’être connu, identifié, est en soi un commentaire de notre œuvre. Universitaires et journalistes aiment s’emparer des données biographiques pour expliquer, malgré vous, vos livres. Aussi Traven a-t-il réussi là où Gary avait fini par échouer dans l’expérience Ajar : ne pas parler de son œuvre, en restant sauvage et en ne commentant jamais ses livres.

                On l’aura compris, je n’aime pas parler des miens. Tout d’abord parce que je ne sais pas le faire ; un écrivain n’est pas plus doué pour parler de ce qu’il écrit qu’un oiseau ne sait parler d’ornithologie. Et pourtant, je le fais, dira-t-on justement. Oui, mais le moins possible et, quoi qu’il en soit, la plupart des journalistes ne vous sollicitent guère que pour que vous racontiez, paraphrasiez sans avoir à expliquer, ce qui, au fond, ne dénature pas les textes.

                Les commentaires que peut faire un écrivain de ses livres n’apportent rien. Ils orientent une lecture qui aurait pour vocation de rester elle aussi sauvage, libre de tout garde-fou. Un livre doit rester une auberge espagnole, on doit pouvoir y entrer comme dans un moulin ; mais voilà, l’époque, les éditeurs, les libraires font le siège des écrivains pour qu’ils parlent de leurs livres, deviennent de bons VRP d’eux-mêmes, aussi s’y plie-t-on plus ou moins de bonne grâce, car, dans la cacophonie de la surproduction littéraire, on veut tout de même signaler la présence d’un livre qui vient de paraître. Parler de mes livres, à mes yeux, n’a pas d’autre vocation que de signaler leur existence dans l’océan des parutions. Les aider un peu à exister. Ce n’est pas rien, et en même temps, c’est tout.

     

    L’œuvre parfaite serait l’œuvre sans auteur, ou sous pseudo. L’expérience Ajar avait fini par tourner court ; celle de Traven a marché, et rien n’a été éventé de ce mystère.

     

    Éric Faye

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