• L’Ombre de ma mère, Claudine Londre (Seuil)

    photo Pierre AhnneDans un récit paru en 1814, Adalbert von Chamisso racontait l’histoire de Peter Schlemihl, l’homme qui avait perdu son ombre. Le héros de l’écrivain romantique allemand vivait cette perte comme une malédiction. L’héroïne de Claudine Londre, elle, aimerait bien se débarrasser de l’ombre qui l’accompagne partout. Il faut dire que ce n’est pas la sienne. C’est celle de sa mère. De ce point de départ, l’auteure tire un premier roman qui s’inscrit dans un genre assez spécial : le gothique plaisant.

     

    « Que font les ombres quand il pleut ? »

     

    L’histoire progresse au gré des hasards qu’invente à mesure l’imagination de celle qui écrit et, peut-être, de celle qui parle : « Vous et moi, nous tous ensemble, allons (…) explorer cette étrange histoire dont j’aimerais moi-même connaître la fin, car j’avance présentement avec une lampe torche et très peu de visibilité »… Hantée par l’ombre de sa génitrice (dont on ne saura jamais rien), persécutée nuitamment par les femmes de sa famille (celles, apprendra-t-on, qui, à raison d’une par génération, sont restées vieilles filles), notre narratrice se lance sur les routes, de la Bretagne à Marseille puis en Corse — il y a du road-movie dans ce conte fantastique. Elle croise plusieurs adjuvants, incarnés par autant de vieillards : un marin-pêcheur, une couturière, laquelle lui fait don d’un mouchoir magique — il y a du conte de fées dans ce road-movie.

     

    Tout cela sur un ton primesautier, bondissant, imprégné d’un humour peut-être un peu systématique, auquel on préférera les passages où se déploie simplement une forme assez gracieuse de fantaisie poétique (« Sait-on seulement ce que font les ombres quand il pleut ? »).

     

    Pour le plaisir de l’arabesque

     

    Quoi qu’il en soit, la légèreté, la gratuité proche de l’inconsistance conviennent bien ici. L’héroïne, en chemin, découvre l’existence des Inutiles Anonymes, et qu’elle-même en fait partie (« Je ne sers à personne, à rien ; c’est ma contribution »). Mais les Inutiles n’ont pas d’ombre, c’est une de leurs particularités. Si elle veut assumer sa condition, notre volatile jeune femme doit donc se débarrasser de celle qui s’obstine à la suivre, comme un reproche tenace à son inanité. Ce qu’elle réussira à faire, au terme de ce qui devient une histoire de délivrance, un roman d’initiation et, pourquoi pas, le récit très transposé d’une psychanalyse.

     

    Ou faut-il y chercher des allégories ? Y voir un encouragement à se débarrasser de ses ombres, quelles qu’elles soient ? Une protestation contre l’excès de sérieux de notre littérature si soucieuse de délivrer des messages ?... On ne sait pas. Le charme de ce petit livre est dans l’agacement bienvenu qu’il provoque chez le lecteur pris au piège de sa transparence.

     

    Car peut-être le roman de Claudine Londre propose-t-il avant tout un éloge du dérisoire, comme vision du monde et comme art poétique. « Peut-être », note la narratrice, « sommes-nous, dès la naissance, une page entièrement rédigée (…). La vie serait une histoire sans morale, voilà tout. Dans le fond, il n’y avait pas de quoi se frapper avec (…) ma non-fonction, mon non-agir ». Et, à la métaphore du chemin et de la lampe-torche, que je citais plus haut, une autre succède, qui vient clore le livre : l’héroïne a rêvé de sel ; au réveil, elle décide de voir dans ce rêve « le chemin à suivre » : « C’est à cela que je vais me consacrer (…). À des tracés de sel. À des lignes soulevées, évaporées, emportées dans un souffle, retournant au néant d’où je les aurais tirées un bref instant… »

     

    Une écriture qui tracerait, pour le plaisir de l’arabesque, des chemins ne menant nulle part, et bientôt effacés ?... Audacieux, par les temps qui courent.

     

    P. A.

     

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