• Laurence Cossé, aimez-vous parler de vos livres ?

    Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

     

    Laurence Cossé a publié, presque toujours chez Gallimard, une douzaine de romans, dont la parution s’échelonne entre 1981 (Les Chambres du Sud) et 2018 — Nuit sur la neige. J’avais beaucoup aimé ce cruel récit d’apprentissage dans les années 1930, tout en noir et blanc, qui montrait les débuts de la société des loisirs sur fond de montée des fascismes (voir ici).

     

    Les passions politiques et leurs ravages, les rapports conflictuels entre l’individu et l’ordre social sont des thèmes récurrents chez l’écrivaine. Mais qu’il s’agisse du pouvoir politique, religieux (Le Coin du voile, 1996), médiatique (Le 31 du mois d’août, 2003) ou culturel (Au bon roman, 2009), l’écriture en tant que telle est toujours son souci dominant. Et le style, chez elle, est un personnage à part entière.

     

     

     

    photo Catherine Helie, Gallimard

     

     

     

       C’est la littérature qui me captive et que je travaille. Or, par les temps qui courent, la littérature n’intéresse pas grand monde. Si quelqu’un qu’elle intéresse veut en parler avec moi, j’y suis toute disposée.

       Je parle très souvent de romans qui ne me doivent rien. J’ai beaucoup de passions littéraires. Pour peu qu’un roman m’émerveille, je le fais circuler autour de moi, au risque de le donner deux fois à la même personne. Ces dernières années, j’ai ainsi eu le plaisir de diffuser Rapport aux bêtes, de Noëlle Revaz, Charles dégoûté des beefsteaks, de Pierre Girard, Sporting club, d’Emmanuel Villin, Traversée, de Francis Tabouret, La grande idée, d’Anton Beraber.

       Il en va autrement de ce que j’ai écrit. Jamais je n’en parle de mon chef. Il m’arrive de côtoyer longtemps des personnes qui, un jour, apprenant que je suis l’auteur de quelques romans, me disent : Vous n’en parlez jamais. Ce n’est pas tout à fait exact. J’en parle si on me le demande.

       Cela change tout. Si quelqu’un s’intéresse au roman et m’interroge sur mon travail, je suis prête à répondre à ses questions. Le problème est que ces questions sont souvent bien générales, et l’échange, du coup, bien limité. - Ah, vous écrivez : quel genre de romans ? - Je ne sais pas trop ; j’essaye de faire chaque fois quelque chose de différent. - Et sur quels sujets écrivez-vous ? - Eh bien, chaque fois sur un sujet particulier. - D’où vous vient l’inspiration ? - J’aimerais le savoir, moi aussi.

       Je pense alors à ce qu’a dit Paul Valéry, « On devrait toujours s’excuser de parler de la musique ». Un roman est fait pour être lu. Qu’on le commente, pourquoi pas, mais après l’avoir lu. Et encore : parler d’un roman, c’est le plus souvent parler de son sujet ou de son intrigue, lesquels sont également accessoires. Même si c’est l’auteur qui en parle, il ne dit rien d’important. La littérature est un art tout d’exécution. Tous les sujets sont bons et il existe des romans sublimes sans intrigue.

       Parler de l’exécution, voilà qui est intéressant. Parler cuisine. Discuter d’un texte techniquement. Pourquoi avoir pris le parti de commencer le livre ainsi ? Pourquoi avez-vous achevé le roman là où vous l’avez fait ? Pourquoi les personnages ont-ils ces noms ? Pourquoi le choix du passé simple plutôt que du passé composé ? Vous êtes la dernière à utiliser le point-virgule, vous y tenez ? Il n’y a que des personnages masculins dans ce livre : auriez-vous pu l’écrire avec des personnages féminins ? Qu’avez-vous voulu dire exactement dans cette phrase ?

        Un autre type d’échange échappe à la platitude, c’est celui qui se produit lorsqu’un lecteur confie à l’auteur : ce que vous avez écrit, je l’ai vécu. Une lectrice, ainsi, m’a dit du titre de mon dernier roman : « Nuit sur la neige, c’est exactement ce qu’a été mon enfance et mon adolescence. J’avais six ans lorsque mon père a été enseveli par une avalanche. » Mais dans ce cas, l’auteur n’a pas grand-chose à dire, il n’a qu’à écouter.

     

    Laurence Cossé

     

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