• Les Conséquences, Niña Weijers, traduit du néerlandais par Sandrine Maufroy (Actes Sud)

    https-_media-cdn.tripadvisor.comPour un premier roman, c’est un premier roman ! Dont le premier mérite est de nous changer agréablement des parents, des enfants, des aïeux, des fratries, du monde de l’entreprise et de l’amour, grand ou petit. À parcourir les articles disponibles sur la toile ou ailleurs, on constate qu’ils restent d’une grande prudence, se contentant pour la plupart de s’inspirer de la longue quatrième de couverture, elle-même assez énigmatique. Il faut en convenir : Niña Weijers, jeune femme moderne aux activités multiples (culture, médias, etc.) n’a pas choisi, pour son entrée en littérature, la facilité.

     

    Performances

     

    Qu’on en juge. Minnie Panis est une artiste conceptuelle amstellodamoise d’aujourd’hui. Elle s’est déjà rendue célèbre par d’intéressantes performances : photos de tous les déchets produits par elle en dix-huit mois (« Des centaines d’emballages en plastique défilèrent, des trognons, fleurs brisées, packs de lait, cartes postales, légumes pourris… »), vente minutieusement documentée et archivée de tout ce qu’elle possède (« Sous-vêtements, livres, CD, tubes de crèmes de jour et de nuit, baume pour les pieds… »). Ayant passé la nuit avec un ami photographe, elle se retrouve peu de temps après quasiment nue, et endormie, dans les pages de Vogue. D’où l’idée, en riposte, d’un contrat passé devant notaire avec l’auteur des clichés : « À partir d’un jour du mois de février qu’il déterminerait lui-même, le photographe suivrait et photographierait Minnie pendant trois semaines. Il opérerait avec la plus grande discrétion et n’interviendrait en aucun cas dans quelque situation que ce soit ».

     

    Suivant cette intrigue biscornue et minimaliste, le livre d’adonne à mille boucles, détours, parenthèses et suspens qui font tout son charme. On a le sentiment très net de tourner autour de quelque chose : quoi ?

     

    Que devient ce qui n’est pas là ?

     

    Bien sûr, il y a la satire, souvent assez désopilante, du monde de l’art contemporain : « Le langage qui définissait un artiste était fait de mots comme identité, engagement, vision et malaise. Sans ces mots, l’édifice s’effondrerait, l’artiste devenu un citoyen apatride, illégal et idiot ». Mais là n’est pas l’essentiel, et l’auteure batave, qui, on l’a dit, méprise la facilité, prend aussi son sujet, c’est tout l’intérêt, au sérieux. Ce sujet tient en un mot : l’absence. Au monde, aux autres, à soi-même. Que devient l’être qui n’est pas là ? Cette question revient sans cesse dans le roman de Niña Weijers, sous des formes diverses et sans fin multipliées — la scène qui l’ouvre, un déjeuner entre Minnie et sa mère, l’annonce en une phrase discrètement vertigineuse : « En partant, elle sentit que sa mère restait immobile et regardait sa fille s’éloigner et rétrécir, rétrécir, jusqu’à ce qu’elle tournât au coin de la rue et cessât d’exister ».

     

    Il n’est donc question que de traces et de signes, et c’est peut-être cela qui confère à chaque page une étonnante intensité, d’autant plus loin de l’ennui attendu que l’humour s’y mêle sans cesse. Mais c’est aussi que ce roman sur l’art parle, bien sûr, du roman lui-même. Comme la création selon Minnie ne produit aucun objet d’art, le récit de Niña est sans histoire véritable — d’où la déception qu’on éprouve quand, dans la dernière partie, l’auteure nous montre, avec talent, le roman romanesque qu’elle aurait pu en faire. Mais celui qu’elle fait, pour l’essentiel, est ici la seule véritable performance. Et cela, en tous les sens du mot : de même que les œuvres de son héroïne, il existe dans le temps (de l’écriture ou de la lecture), non dans l’espace, et réside tout entier dans sa pure effectuation. C’est le cas de tous les romans, bien sûr. Mais en réduisant le sien à se décrire lui-même dans ce qui n’est finalement qu’une longue métaphore, l’écrivaine néerlandaise rappelle cette vérité avec brio, élégance et panache. Ou toupet, pour ceux qui préfèrent.

     

    P. A.

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