• Maria Regla Prieto/Cyrille Latour : Miroirs et figures

    www.herault-tribune.comLa Valise de Luna, Maria Regla Prieto, traduit de l’espagnol par Isabelle Taillandier (La Reine Blanche)

     

    J’ai déjà évoqué les éditions de La Reine Blanche, qui publient des nouvelles, francophones ou traduites, mais toujours éditées élégamment, illustrées et préfacées. Ce printemps, elles nous proposent cinq récits de Maria Regla Prieto, écrivaine espagnole dont c’est le premier livre paru en français.

     

    L’histoire de l’Espagne défile en arrière-plan de ces brèves fictions, depuis la conquête des « Indes » et le temps de l’Inquisition jusqu’à la guerre civile, puis, au-delà, l’époque probablement contemporaine où une jeune femme, pour commencer sa vie nouvelle, devra d’abord se débarrasser d’une valise, dans laquelle on doit peut-être voir le symbole de ce lourd passé.

     

    L’auteure s’inscrit pourtant avec bonheur dans une tradition nettement identifiable : celle d’un baroque bien ibérique. On en trouve ici tous les thèmes : secrets, dédoublements, recours assumé au mélodrame – ce ne sont que doubles familles, rencontres improbables, enfants perdus et ressurgis… Et le baroque est aussi dans l’écriture. Le silence « saisit le cœur (…) comme une flamme livide et lancinante », « une toile d’araignée tissée de mélancolie » emprisonne l’esprit… La métaphore fleurit partout.

     

    C’est aussi qu’on est toujours en danger de basculer d’une réalité dans l’autre, et que le surnaturel n’est jamais loin. Les esprits des héros sont traversés de prémonitions, d’impressions de déjà-vu, des trépassés reviennent hanter leurs songes et réclamer leurs soins. Le sexe même est un rituel magique. « Le corps du jeune homme » rencontré à la gare emporte Luna loin de sa valise, vers une « plage impossible » (« Son souffle était une brise marine (…). Ses yeux, la lumière d’un soleil blanc »). Holman, le sculpteur de La Passion, amoureux de son modèle, croit l’étreindre dans le bois où il va le représenter et qui « lui renv[oie] le toucher et l’odeur de la peau du corps de cet homme ».

     

    Car les deux textes qui sont sans doute les plus forts mettent en scène l’un un sculpteur, dont les mains prodigieuses « transform[ent] le bois en chair », l’autre un retoucheur de photos du temps où on retouchait les photos (manuellement), et qui possède le don « de faire surgir de l’humidité et de l’encre délavée un visage ou un corps complet »… La vraie magie, bien sûr, c’est l’art. Y compris l’art de l’écrivaine.

     

    Et puis viennent les femmes/Et puis viennent les hommes, Cyrille Latour (Lunatique)www.tourmag.com

     

    Les éditions Lunatique, qui publient aussi des romans (voir ici ou ici), présentent un petit ouvrage déjà curieux en tant qu’objet. On peut lire dans un sens aussi bien que dans l’autre ce livre réversible, depuis le titre Et puis viennent les femmes, qui figure sur l’une des faces de la couverture, ou, après avoir retourné le livre, depuis son revers, où apparaît celui d’Et puis viennent les hommes. Les deux récits, d’exactement quarante-trois pages chacun, se rejoignent au milieu du volume sur un mot commun (et énigmatique), après avoir raconté les mêmes événements, l’un au point de vue du personnage féminin, l’autre, du héros masculin.

     

    Car le tout parle d’une rencontre, évidemment, dans le temps suspendu d’une traversée de la Manche. Elle dessine, et fait partie du personnel de bord ; il est hanté par la musique et va tous les jours travailler en Angleterre. Il « n’a aucun goût pour l’émerveillement et le partage » et « se tient si bien à l’écart que personne ne remarque qu’il est à l’écart ». Elle se veut « étrangère » et a toujours choisi de partir « avant qu’il ne soit trop tard ». Mais, ce jour-là…

     

    P. A.

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