• Quand j’étais petit, j’étais catholique, Pierre Kretz (La Nuée Bleue)

    photo Pierre AhnneLes éditions de la Nuée Bleue rééditent ce printemps un texte publié une première fois par leurs soins en 2005, et qui connut alors, en tout cas au-delà des Vosges, un franc succès. Il reparaît enrichi d’une postface de l’auteur, où celui-ci définit modestement son ouvrage comme le récit d’une « tranche de vie de la société rurale catholique alsacienne ».

     

    Les trois adjectifs sont d’égale importance. On est dans un « minuscule village » où les derniers chevaux et bœufs se mêlent encore aux tracteurs. En automne, les sarments séchés « entassés au bord des chemins au moment de la taille des vignes » brûlent en dégageant des nuages de fumée qu’on voit « se confondre parfois avec les brumes de novembre ». Les enfants sont envoyés chercher « du trèfle pour les lapins » et, au confessionnal, « les adultes [sont] prioritaires car le prêtre confess[e] à l’heure de la traite des vaches ». Si les mérites comparés de la Peugeot 203 et de la Simca Aronde intéressent beaucoup le « petit catholique » du titre, pas de télévision dans les foyers, sans parler de moyens de communication plus récents encore. Les seuls spectacles se donnent à l’église.

     

    Fiirla…

     

    Celle-ci est le lieu central du village, pas seulement parce que le héros est enfant de chœur et que l’extrême onction portée aux malades ou les enterrements lui sont des occasions bienvenues de manquer l’école. La religion imprègne profondément la vie sociale, se mêlant indissociablement au patriotisme : la plaque du monument aux morts est apposée dans une grotte de Lourdes, les fêtes « qui commémor[ent] les victoires sur l’ennemi héréditaire [sont] célébrées avec ferveur dans l’église du village ». Les protestants des villages voisins sont considérés avec un mélange de méfiance et de commisération (« On voit qu’on est chez les protestants, ici. Pas le moindre calvaire dans les champs. Ça fait vide. C’est triste »). Quant aux francs-maçons, ils sont toujours prêts à acheter aux petits catholiques, pour « des poignées de bonbons et de Carambar », des hosties consacrées qu’ils transpercent « avec des aiguilles, uniquement pur faire souffrir Jésus ».

     

    Tableau d’une époque de la vie religieuse plutôt que d’une époque tout court, les années 1950. Mais aussi, comme toujours chez l’auteur, portrait d’une région : cette Alsace où les deux branches du christianisme occidental se juxtaposent et s’observent ; où le souvenir d’un passé complexe et douloureux n’est jamais bien loin (« Le petit catholique se demandait (…) pourquoi tous ces soldats du village qui avaient leur nom sur la plaque du monument étaient en réalité morts à la guerre sous l’uniforme de l’ennemi héréditaire »). Où le dialecte est alors, dans les campagnes, encore la langue dominante (et fiirla est tellement plus parlant que « faire du feu » ou « feuer machen »…).

     

    Le mystère des mots

     

    Cependant, le récit de Pierre Kretz est autre chose et plus qu’une chronique villageoise ou le « document d’archives ethnologiques » auquel, toujours avec modestie, il le compare dans sa postface. Il y écarte nettement la nostalgie comme l’allusion d’actualité (si on croise un aumônier scout qui appuie son propos de « gestes (…) inattendus », ce n’est en effet qu’en passant). Quand j’étais petit, j’étais catholique est, nous dit-il, d’abord l’histoire « d’un enfant solitaire ».

     

    De fait, sous l’humour et l’ironie légère qui semblent faire le charme du récit se cache une vraie gravité. Le « petit catholique » est un grand tourmenté. Ce servant de messe, si pieux que le curé espérera longtemps le voir entrer au séminaire, a des angoisses métaphysiques, qui sont celles de toutes les enfances, et dont l’évocation donnent à cette histoire faussement régionale une profondeur universelle (comment aimer un « Dieu Tout-Puissant » qui est amour ? Comment être jamais sûr de l’aimer assez ?).

     

    Le monde des adultes en général, à une époque où on dialoguait peu en famille, est source de bien des perplexités. La grande force du texte est de tracer le portrait d’un enfant perplexe et anxieux par le moyen de la grammaire. Pas de noms, ici. Si on partage en permanence le point de vue du personnage, celui-ci restera toujours « le petit catholique ». Et cet emploi de la troisième personne matérialise la distance avec l’adulte qui nous parle à travers lui, mais aussi, du même coup, entre l’enfant et le monde qu’il habite.

     

    Cette étrangeté s’inscrit dans le rapport au langage. « Les petits catholiques [ont] l’habitude d’utiliser des mots dont le sens leur échapp[e] totalement ». Mots qui arrivent « par vagues groupées », « au point de perdre toute existence autonome ». « Seules les phrases ou les lambeaux de phrases [ont] le doit d’exister », ainsi « Marie, la Très Sainte Mère de Dieu toujours vierge », ou « le Verbe s’est fait chair » — dont on comprend, quand même, que « ça [veut] dire que les verbes se conjugu[ent] le dimanche du haut de la chaire ».

     

    À la fin, le petit catholique, plus grand, se plongera dans des lectures autres que Cœurs vaillants ou la vie du curé d’Ars. Elles atterreront son ancien curé, et lui ouvriront les portes d’un univers nouveau. Les mots donnent forme à tout, et changer de mots, c’est changer de monde. Pierre Kretz le montre bien. Sans complaisance rétrospective ni sociologie déguisée. Par la grâce de l’humour et l’usage de la langue.

     

    P. A.

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