• Qui ne dit mot consent, Alma Brami (Mercure de France)

    photo Marion HéroldAlma Brami est jeune, comédienne, vit à Hong-Kong, a déjà publié six romans et nous raconte une drôle d’histoire. C’est celle d’Émilie et de son mari Bernard, qui ne l’appelle jamais autrement que « mon Cœur ». À son instigation, tous deux se sont installés à la campagne avec leurs enfants, un garçon et une fille. Là, l’époux a pris la fâcheuse habitude de recruter par petites annonces des « amie[s] pour Maman », lesquelles séjournent dans la maison et recueillent toutes les attentions du chef de famille jusqu’à ce que celui-ci s’en lasse. « Les femmes défilaient. Mais la seule qui reste, c’est toi mon Cœur, tu vois bien que tu n’es pas sur le même plan ».

     

    L’eau et le vase

     

    Le livre commence avec Sabine, qu’on vient accueillir à la gare, puis un retour en arrière nous apprend qu’au commencement était Elsa, dite « la Jument » ; ensuite, plus loin, on comprend qu’il y en eut d’autres, Evelyne, Bénédicte, Odile… Émilie, qui est aussi la narratrice, nous conte son épopée sinistre auprès du répugnant goujat qu’à peine sortie des griffes de ses affreux parents elle a épousé sans doute par masochisme (« J’avais toute ma jeunesse rêvé d’être une autre »), dans un style un peu laborieusement primesautier, qui saisit cependant assez bien les manies langagières des uns et des autres (« À l’âge qu’on a, on connaît ses qualités et ses défauts, plus besoin de se cacher derrière son petit doigt, d’accord ou pas d’accord ? ») ; elle n’est pas avare non plus de remarques acerbes à propos de ses rivales multiples (« Elle était née vieille, le genre de Marie Poppins sans magie » ; « Elle n’avait pas que des membres de cheval, sa lèvre remontait trop haut quand elle bavassait, le bandeau de gencive jaillissait, presque mauve, plus large que les dents » ; « Sabine était juste une cruche insouciante, une carpe qui flotte au gré du courant. Mon mari avait l’air d’adorer ça, les carpes »). Cette misogynie qui s’ignore fait patienter, pendant que la pauvre femme garde tout ça pour elle et subit, sans cesser d’aimer son tortionnaire, des humiliations minutieusement détaillées qui se succèdent ainsi que les gouttes d’eau dans un vase.

     

    Problème de cordon

     

    Enfin, soudain, il est arrivé quelque chose d’imprévu. Dans ma lecture, s’entend. Ma liseuse est tombée en panne. Oui car j’ai fait l’acquisition d’une liseuse, c’est très pratique, les services de presse en version électronique reviennent moins cher aux éditeurs, ils sont moins encombrants pour moi, tout le monde est content. Seulement voilà, ça n’est tout de même pas magique, ces objets, il ne faut pas par exemple s’en aller dans les Hautes-Alpes sans s’être muni du cordon adéquat afin de recharger leur batterie, ils en ont une. Or, j’étais parti pour les Hautes-Alpes. Un coin magnifique, d’ailleurs vous pouvez le constater sur ma photo. Une nature splendide, une flore exceptionnelle, je pourrais vous parler longtemps de l’orchis, de l’astrance, du cirse très épineux et de la campanule en thyrse. Si seulement c’était le sujet.

     

    Big Bang

     

    Mais le sujet, c’est, voyons… le livre d’Alma Brami. Quand, quelques jours plus tard, de retour à Paris (car, grâce au Ciel, le contretemps s’était produit presque à la fin de mon séjour), j’ai pu en reprendre la lecture, j’avais du mal à me défendre de l’idée absurde que quelque chose se serait produit entre-temps dans l’histoire aussi, qu’un événement aurait surgi de lui-même pour apporter, à défaut de sens, un peu de variété dans la catastrophe conjugale dont l’auteure nous entretenait. Il faut dire que dans l'intervalle je m’étais diverti avec un ouvrage tout à fait passionnant sur le Big Bang, et je me trouvais sans doute sous l’influence des théories qui estiment que notre univers et d’autres peut-être seraient nés spontanément du pur et simple vide… Bien sûr j’ai été déçu. Le vase a simplement recommencé à s’emplir. Jusqu’à ce qu’Émilie se décide à faire une dépression. Alors ses enfants, devenus adultes, à force, se sont résolus à la prendre en main, la retirant de celles de son vilain mari. Soulagement. Et puis voilà.

     

    P. A.

     

    Illustration : spécimen de grande astrance photographié quelque part dans les Hautes-Alpes.

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