• Un garçon ordinaire, Joseph d’Anvers (Rivages)

    www.rhapsody.frJoseph d’Anvers, me dit-on, est né en 1980, est auteur-compositeur-interprète et a déjà publié deux autres romans. Son héros-narrateur a quelques années de plus, puisqu’il est en classe terminale lorsque meurt Kurt Cobain (1). La première phrase du roman annonce cette mort en pastichant Camus : « Aujourd’hui, Kurt Cobain est mort ». À la dernière seulement, on apprendra le nom du héros, et c’est Victor. Jolies idées, qui inscrivent d’emblée dans la tradition du roman d’éducation un joli petit livre, dont tout le monde aura compris que son principal et même son seul sujet tient en un mot : l’adolescence.

     

    Chacun connaît mon intérêt pour le thème. Un de ses aspects fascinants réside dans les permanences qui s’y manifestent par-delà tous les marqueurs d’époque. Les références musicales qui abondent dans Un garçon ordinaire ne sont pas les miennes, quand il est question de Sonic Youth, Dinosaur Jr. ou « Pixies et consorts », je me demande qui sont ces personnes. Les jeunes gens de Joseph d’Anvers, contrairement à ceux de mon adolescence à moi, ne font pas de politique, ils n’ont pas non plus d’intérêt pour la philo ou la littérature. Les seuls livres qu’il leur arrive (parfois) d’ouvrir sont leurs livres de classe – sans qu’on puisse incriminer la technologie, puisqu’ils n’ont pas encore de téléphone portable ou d’ordinateur.

     

    « Presque vieux »

     

    Mais ça ne m’empêche pas de m’y retrouver, comme le fera quiconque aura lui-même été un jour un adolescent digne de ce nom. Victor écrit « à la va-vite dans [son] agenda » des phrases où « tout s’imbrique parfaitement », « les mots coulent, jaillissent, au fil des accords [qu’il] égraine ». Des mots que Joseph d’Anvers se garde, autre bonne idée, de nous faire partager, mais on imagine… Son personnage a la nostalgie anticipée chère à son âge, voire un peu plus. Car ce n’est justement pas « un garçon ordinaire ». Qui en est un, à dix-huit ans ? Victor « perçoi[t] clairement » chez ses camarades des sentiments que ceux-ci « s’efforc[ent] de dissimuler ». Quand il est parmi eux, « un flash de lucidité » vient souvent lui révéler la fragilité du moment qui passe. Il lui arrive même de se sentir « usé, désabusé, presque vieux », quel ado n’est passé par là ?

     

    Notre ami, c’est aussi de son âge, vit sous la tyrannie de l’imagination. Quand il joue de la guitare, il « par[t] », et des « scènes », des « visions » lui dictent les paroles. « J’erre quelque part sur la côte Ouest américaine (…) dans ces contrées pluvieuses entre Portland et Seattle »… Qu’est-ce qui lui arrive pour de bon, à part ça ? Peu de chose. C’est l’année du bac, dont le rituel clôt le livre. Victor se découvre auteur-compositeur-interprète, il se décide enfin à sortir, comme on dit, avec Alice, lui et ses potes s’embrouillent avec les « skateurs », un copain se fait renvoyer du lycée pour cause de bagarre à la cantine et disparaît. C’est la tragédie de l’année : « Mon pote, mon frère, mon alter ego, ton silence est une déchirure. Ton absence, une béance ».

     

    Pastellisation

     

    On ne peut pas s’attendre à ce que Victor prenne de vraies distances par rapport au sujet, mais l’auteur lui-même n’a pas l’air d’en prendre beaucoup. On dirait un peu un livre sur l’adolescence écrit pour des adolescents par un ado. Et les discours, comme les bons sentiments, sont toujours prêts à se donner carrière. Le copain Karim « ne part clairement pas avec les mêmes conditions dans la vie » ; c’est triste. « Il y a toujours, entre les enseignants et [leurs élèves], un peu plus que les théorèmes, les textes classiques (…) ou le système nerveux des grenouilles » ; c’est gentil. Au fond, « seuls les bras d’une mère comptent »… Quel bon gars, Victor !

     

    Tout ça, cependant, fautes de vocabulaire et de syntaxe incluses, a le mérite de la cohérence. Et l’intérêt du livre est peut-être dans sa manière de coller, presque maniaquement, à son propos. L’extrême minceur d’une intrigue vite résumée (« Un pote manque à l’appel, une fille m’embrasse, et je suis perdu ») est un atout. Car ce qu’il y a de mieux, ce sont les vides, les blancs, les moments creux, voués à cet ennui mélancolique et complaisant si propre à l’âge dont il s’agit. Le récit aime s’attarder sur « ces longues minutes suspendues (…), comme si la vie était en pause », quand « tout s’estompe, se pastellise ». « Le soleil décline à l’horizon. Des parfums de lilas, de vase et de bois mouillé flottent dans l’air (…), on se rassied dans l’herbe »… C’est aussi, et peut-être d’abord, cela, l’adolescence. Quelle que soit l’époque.

     

    P. A.

     

    (1) Le 5 avril 1994, comme chacun sait…

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