• Un saut dans la nuit, Olivier Schefer (Arléa)

    www.pinterest.es.On a quelquefois un peu de mal à voir où est exactement la rencontre, dans les beaux récits parus dans la collection qu’Anne Bourguignon dirige, sous ce titre, chez Arléa… Pour le précédent livre d’Olivier Schefer, Conversations silencieuses (2019, voir ici) c’était clair : la rencontre, c’était celle de la peinture, et elle ouvrait pour le héros-narrateur une éducation qui serait, d’abord, du regard.

     

    Ici, c’est à une autre sorte de roman d’éducation que nous avons affaire. Maison d’enfance à la campagne, vacances d’été, amitié, premières amours… Si rencontre il y a, ce serait surtout celle d’un lieu : le réel village de Saint-Béat — sa carrière de marbre, son château, son pont sur la Garonne. François y retourne trente ans après, convoqué par Jean, le compagnon de ses jeux, du temps qu’il était un petit Parisien séjournant en famille chez sa grand-mère. Il retrouve l’endroit. Nous le découvrons avec lui, minutieusement décrit, au point qu’on frôlerait le guide touristique si l’on n’avait d’emblée le sentiment obscur que les lieux seront les vrais héros d’une histoire dont on pressent aussi qu’elle va mal finir.

     

    « Rêve de nature sauvage » et « slows fatals »

     

    Ou plutôt qu’elle a mal fini. Après le message initial et le retour sur place qui s’ensuit, le récit n’est en effet qu’une longue remémoration (ce qui rend un peu gênantes les innombrables erreurs dans l’emploi des temps [verbaux], mais bon, passons). Ce n’est que dans les dernières pages qu’on reviendra au présent pour le vrai dénouement, après la chute, en tous les sens du mot, de l’histoire enchâssée. Celle-ci nous aura ramenés jusqu’à l’été 1983, dans un parcours où se rencontreront tous les ingrédients du roman d’adolescence : adieux aux jeux de l’enfance (« rêve[s] de cabane et de nature sauvage »), venue de ces jours où l’on attend « qu’il arrive quelque chose », rencontre de Geneviève, sœur de Jean, avec sa « bouche couleur framboise » et « ses épaules dénudées » : « Geneviève mettait du mystère là où on ne voyait que des défis ».

     

    Fête au village, premiers émois, tout y est, au point qu’on se croirait, pour un peu, dans un pastiche, entre châteaux mystérieux où l’on se glisse en cachette (comme dans Le Grand Meaulnes) et orages nocturnes aux éclairs aveuglants (comme chez les Brontë). Et l’on pourrait aussi s’étonner de voir, au début des années 1980, deux garçons jouer au « dernier des Mohicans », une jeune fille garder les troupeaux, et Only you ou Yesterday compter parmi « les slows fatals de l’époque ».

     

    Poussière du temps et travail sur le motif

     

    Ce serait cependant oublier qu’il y a, comme le poème de Reverdy cité en exergue nous le rappelle, « un terrible gris de poussière dans le temps ». La poussière du passé estompe les formes. Et l’après-coup organise les souvenirs, redisposés comme dans un tableau. Spécialiste de peinture, Schefer travaille en peintre. Dans son livre, qui se terminera sur un cahier de croquis découvert après des années, les épisodes et les détails constituent autant de motifs — végétation, odeurs, lumières, ou scènes nocturnes, pour lesquelles l’auteur et son héros paraissent dès l’abord avoir une prédilection.

     

    Mais si le livre commence par une nuit pluvieuse, si, un peu plus loin, les phares d’une voiture « balay[ent] les bords de route d’où surgiss[ent] des troncs d’arbre et des panneaux de signalisation, dispersés dans l’obscurité », ce n’est pas seulement pour signifier le début d’une descente dans les ténèbres du passé. Ces nuits annoncent de loin « le désordre » d’une autre nuit, à l’autre bout du roman, où la Garonne, dont la présence inquiétante l’habite mystérieusement à chaque page, jouera son rôle. Thèmes et images, lumières et couleurs se répondent, en un jeu adroit, qui pourrait être aussi une incitation à méditer les rapports entre successivité du récit et simultanéité du tableau. Et constitue, en tout cas, une belle invite au souvenir imaginaire.

     

    P. A.

     

    Illustration : Saint-Béat, le pont sur la Garonne

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