• photo Pierre Ahnne

     

     

     

    Mes livres des mois d’août et septembreKlara et le soleil, Kazuo Ishiguro, traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch (Gallimard)

    L’écrivain britannique confie la narration à une « Amie Artificielle ». Et tire de ce procédé tout simple des effets subtils, et des perspectives vertigineuses sur l’humanité des hommes.

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    Mes livres des mois d’août et septembreLes Garçons de la cité-jardin, Dan Nisand (Les Avrils)

    Ce primo-romancier raconte simultanément l’histoire d’une fratrie, d’un quartier bien particulier, d’une région singulière. Et pose la question de la liberté et du destin.

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    (Voir aussi l’entretien qu’il a accordé à ce blog.)

     

    Mes livres des mois d’août et septembreLe Garçon de mon père, Emmanuelle Lambert (Stock)

    La narratrice (l’auteure ?) raconte les derniers jours de son père. Travail de la mémoire et travail de la mort progressent de conserve dans ce beau récit éclaté.

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    Mes livres des mois d’août et septembreOkoalu, Véronique Sales (Vendémiaire)

    Des enfants survivent sur une île après un accident d’avion. L’historienne et romancière fait mine de s’inscrire dans une tradition littéraire. Et ouvre, par la seule grâce du style, une belle et profonde réflexion sur le rapport au réel et au temps.

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    Mes livres des mois d’août et septembrePaul Klee jusqu’au fond de l’avenir, Stéphane Lambert (Arléa)

    Parlant de l’expérience vécue en contemplant les tableaux du grand peintre suisse, l’auteur de Visions de Goya approfondit encore sa méditation sur la peinture comme « lieu de passage » livrant accès au fond obscur de l’être.

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    Mes livres des mois d’août et septembreLe Chat, le Général et la Corneille, Nino Haratischwili, traduit de l’allemand par Rose Labourie (Belfond)

    Par le biais de personnages multiples pris dans une intrigue étourdissante, la jeune écrivaine géorgienne brosse, avec des accents dignes d’Hugo, le tableau tragique de l’URSS finissante et de ses suites.

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    Mes livres des mois d’août et septembreFresque et mosaïque, Xavier Bazot (L’Atelier contemporain)

    Fidèle à son exigence (« rassembler les membres d’Osiris »), Xavier Bazot construit et déconstruit le récit autobiographique et le portrait d’un écrivain en père de famille.

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    Mes livres des mois d’août et septembreMonsieur N., Najwa M. Barakat, traduit de l’arabe par Philippe Vigreux (Sindbad/Actes Sud)

    Monsieur N. raconte, à sa manière chaotique, entre Beckett et Lautréamont, sa vie déglinguée. Mais, à Beyrouth, « comment rester d’aplomb » ?

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    Mes livres des mois d’août et septembreLe Dernier Tribun, Gilles Martin-Chauffier (Grasset)

    Des ultimes soubresauts de la République romaine, l’auteur fait un passionnant thriller politique. Et il taille au passage, à Cicéron, une toge pour l’hiver.

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  • www.egypte-antique.comLa Rome antique deviendrait-elle tendance ? À la rentrée de janvier paraissait le remarquable La Nuit des orateurs, d’Hédi Kaddour (Gallimard, voir ici), dont l’action se situait sous le règne de l’empereur Domitien ; en cette rentrée de septembre, c’est la République romaine que nous conte Gilles Martin-Chauffier. Ou plutôt son agonie… On sait que, rongé par les inégalités, devenu peu adéquat pour la gestion d’un territoire frôlant les frontières du monde connu, le régime s’effondre au Ier siècle avant Jésus-Christ, achevé par les rivalités entre d’audacieux ambitieux : César et Pompée, d’abord ; puis Antoine et Octave, qui, sous le nom d’Auguste, fondera ce que nous nommons l’empire. Tel est, rappelé ici à très gros traits, le cadre général du roman.

     

    Tout se joue à l’Ouest

     

    Au début, on a un peu l’impression de se promener dans son manuel de sixième (car il y a eu une époque où on faisait du latin en sixième — jours enfuis). Ensuite, on se rend compte qu’il n’y a là rien de scolaire ni de clinquant, mais un pittoresque de bon aloi, où l’érudition se rend légère. Surtout, l’auteur a fait un choix que l’on peut discuter mais qui se révèle aussi efficace que radical. Dédiant son livre à son professeur de sixième (voir plus haut), lequel « enseign[ait] le latin comme une langue vivante », Gilles Martin-Chauffier opte pour un français d’aujourd’hui : Épicure, dans la bouche d’un haut fonctionnaire romain, est « un élément de langage », et on s’écrie, jovial : « Allez, champion, il est temps de te détendre ! ». Évidemment, cela ne va pas sans quelques anachronismes : « virus mortel », « carton-pâte », maîtresse de maison « obsédée par l’hygiène ». Mais, au fond, pourquoi pas ?

     

    D’ailleurs, tout ici est efficace, même si écrit, dirait-on, un peu vite, au prix de quelques facilités (« cœur calfaté par le chagrin », vieilles lionnes qui « conservent des griffes »). Gilles Martin-Chauffier a surtout un immense mérite : celui de rendre clairs et même captivants les méandres de la (cruelle) vie politique à Rome sous la République finissante, dont il parvient à faire un trépidant récit d’action. Le point de vue choisi y est sans doute pour beaucoup. Tout nous est montré à travers les yeux de Metaxas, narrateur qui, en tant que philosophe grec (imaginaire), se situe juste à la bonne distance d’un sujet qui le fascine (« Tout se jouait à l’Ouest ») tout en l’épouvantant quelque peu (« Chez nous, tout s’était apaisé, les conflits, les différends, la violence… »).

     

    Déboulonnage

     

    Que vient-il faire à Rome, ce prétendu philosophe ravi « d’entrer dans la mêlée », et qui, arrivant dans la Ville, s’exclame : « Ma vie [va] enfin commencer » ? Il y est appelé par Clodius, qui s’appelait en fait Claudius, mais a changé son nom pour se faire élire tribun de la plèbe. Ce fils d’une grande famille rangé du côté des populares est un ancien condisciple et un ami. Il a besoin que Metaxas lui prête sa plume dans le combat politique où il s’est engagé. Quel combat ? « La guerre civile menace ». « Réduite à une façade en carton, la République masque le pouvoir de trois hommes qui attend[ent], chacun dans son repaire, d’éliminer les deux autres » (il s’agit du premier triumvirat, accord entre César, Pompée et Crassus pour se partager le pouvoir réel). Jusque-là, d’accord.

     

    Mais, devant la suite, l’ancien étudiant puis professeur de lettres classiques reste légèrement médusé. Au cours de ses études, on lui a en effet toujours expliqué que, dans la situation décrite ci-dessus, Cicéron était l’héroïque démocrate qui s’efforçait de sauver le régime. Cet auteur prodigieusement ennuyeux par ailleurs s’opposait courageusement, disait-on, aux séditieux, c’est-à-dire aux triumvirs et à leurs nervis. Parmi lesquels Clodius, homme de César, était représenté comme particulièrement nocif, même si Milon, homme de Pompée, qui le tuera en 52 au cours d’une bagarre de rue, ne valait guère mieux. Est-ce pour se venger d’avoir dû traduire l’assommant discours que Cicéron (en français, « Pois chiche », comme le rappellent à tout propos ses ennemis dans le roman) écrivit malgré tout pour défendre l’assassin ?... Gilles Martin-Chauffier renverse tout et déboulonne l’idole : Clodius, dans son récit, est le vrai démocrate, qui veut « mener à bien la grande réforme » sociale tentée jadis par les Gracques, et mettre fin au pouvoir des patriciens, « ces hommes bénis par la naissance qui ne voient dans leur carrière qu’une suite d’arrangements avec les règles sans que jamais le sens du devoir ou de la patrie intervienne dans leurs cabrioles ». Milon, brute épaisse, a décidément tous les torts. Quant à Cicéron… Toujours « du côté des forts », cet hypocrite, « vantant les vertus imaginaires d’une République dont il couvr[e] les injustices », n’est en somme qu’une « perruche se prenant pour un aigle », voire carrément un « eunuque aux procédés de tyran ».

     

    Ville éternelle

     

    Quand on a souffert par la prose de « Pois chiche », on trouve assez rafraîchissante cette réécriture de l’Histoire. D’une Histoire où, pourtant, « le mensonge incarnera pour toujours la vérité ». Heureusement qu’il y a aussi l’art. Heureusement qu’il y a Catulle. Avec son « style brutal et soyeux, viril et tendre », se « légèreté charmante », sa volonté de « s’en tenir à la surface, à la draperie, à l’épiderme et à l’apparence », le poète tient une place de choix parmi d’autres figures admirablement campées.  Personnages historiques négligés ou fameux, poètes moins connus, matrones indomptables. Qui est le vrai héros, dans tout ça ? Le poète ? Le révolutionnaire ? Le conservateur chafouin ?... Peut-être est-ce plutôt une héroïne. « C’est [Rome] que je voulais raconter », dira Metaxas, concluant ses Mémoires. Et la reine du monde se donne en effet pleinement à voir, dans ce roman qui ne cède jamais au démon de l’actualisation, « fascinante et terrifiante, mille fois plus grande que l’inoubliable Troie ». « Sept cent mille agités [y] étal[ent] luxe, misère, paresse, vanité, coquetterie, licence, vin… ». On y va « de ruelles en venelles et de trous à rat en cours des miracles ». On y croise « des burnous, des caftans et des blouses », on y parle toutes les langues, « où qu’on soit, on [est] aussi ailleurs ». Nul besoin d’actualisation : cette cité antique est une ville d’aujourd’hui.

     

    P. A.

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  • Pour fêter le dixième anniversaire de mon blog, créé en septembre 2011, j’ai demandé à des écrivains que j’ai rencontrés ou dont j’ai parlé au cours de ces dix années de répondre à une question : « Aimez-vous parler de vos livres ? » Les textes qu’ils m’ont fait l’amitié de m’adresser paraîtront, à raison d’un par semaine, dans l’ordre où ils me sont parvenus.

     

    Dans l’entretien qu’il a accordé à ce blog, Éric Faye révélait que, vers l’âge de 20 ans, il voulait être compositeur. Devenu, en fin de compte, écrivain, il fait entendre à son lecteur une musique singulière, sans cuivres sonnants ni grosse caisse, mais reconnaissable tout de suite à sa trompeuse et séduisante transparence. On la retrouve aussi bien dans les quelque vingt romans et recueils de nouvelles dont il est l’auteur que dans ses récits de voyage (dont certains écrits en collaboration avec Christian Garcin, voir ici et, tout récemment, ici). D’ailleurs, les deux types d’ouvrages et d’inspiration échangent volontiers leurs caractéristiques, quand ils ne convergent pas franchement (comme dans le remarquable Éclipses japonaises [Seuil, 2016, voir ici]). Rien d’étonnant pour qui pratique volontiers le fantastique en mode insidieux. Réalité ou fiction, dépaysement géographique ou sentiment d’étrangeté, c’est le fait d’être au monde que cet écrivain prolifique et secret sait, sous tous les cieux, nous rendre étonnant.

     

     

    Éric Faye, aimez-vous parler de vos livres ?

     

     

                Il y a bien longtemps (quinze ans déjà ?), j’ai fait revivre dans un roman (L’Homme sans empreintes [Stock, 2008]) la figure du mystérieux écrivain B. Traven, qui vécut sous de multiples identités, n’accorda jamais d’interviews et fit tout pour effacer ses traces, au point qu’aujourd’hui encore, un demi-siècle après sa disparition, on ignore jusqu’à la langue dans laquelle il a écrit certaines de ses œuvres : anglais ? allemand ?, où il naquit et sous quelle identité. Par son attitude comme dans ses écrits, B. Traven professait une chose capitale : l’écrivain n’a pas à expliciter ses textes, il n’a pas à donner d’éléments biographiques susceptibles d’aider la critique à plaquer dessus une lecture particulière. Les textes doivent parler d’eux-mêmes, et l’écrivain lui-même n’a pas à apparaître en chair et en os. Il est déjà partout dans ses textes. Il est ses textes.

                « Nous abritons un sauvage en nous, et nous portons peut-être un nom sauvage enregistré quelque part comme le nôtre », écrivait notre écrivain mystère. Le fait d’être connu, identifié, est en soi un commentaire de notre œuvre. Universitaires et journalistes aiment s’emparer des données biographiques pour expliquer, malgré vous, vos livres. Aussi Traven a-t-il réussi là où Gary avait fini par échouer dans l’expérience Ajar : ne pas parler de son œuvre, en restant sauvage et en ne commentant jamais ses livres.

                On l’aura compris, je n’aime pas parler des miens. Tout d’abord parce que je ne sais pas le faire ; un écrivain n’est pas plus doué pour parler de ce qu’il écrit qu’un oiseau ne sait parler d’ornithologie. Et pourtant, je le fais, dira-t-on justement. Oui, mais le moins possible et, quoi qu’il en soit, la plupart des journalistes ne vous sollicitent guère que pour que vous racontiez, paraphrasiez sans avoir à expliquer, ce qui, au fond, ne dénature pas les textes.

                Les commentaires que peut faire un écrivain de ses livres n’apportent rien. Ils orientent une lecture qui aurait pour vocation de rester elle aussi sauvage, libre de tout garde-fou. Un livre doit rester une auberge espagnole, on doit pouvoir y entrer comme dans un moulin ; mais voilà, l’époque, les éditeurs, les libraires font le siège des écrivains pour qu’ils parlent de leurs livres, deviennent de bons VRP d’eux-mêmes, aussi s’y plie-t-on plus ou moins de bonne grâce, car, dans la cacophonie de la surproduction littéraire, on veut tout de même signaler la présence d’un livre qui vient de paraître. Parler de mes livres, à mes yeux, n’a pas d’autre vocation que de signaler leur existence dans l’océan des parutions. Les aider un peu à exister. Ce n’est pas rien, et en même temps, c’est tout.

     

    L’œuvre parfaite serait l’œuvre sans auteur, ou sous pseudo. L’expérience Ajar avait fini par tourner court ; celle de Traven a marché, et rien n’a été éventé de ce mystère.

     

    Éric Faye

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  • Né en 1978, Dan Nisand vient de publier, aux Avrils (groupe Delcourt), un premier roman, Les Garçons de la cité-jardin. J’ai été impressionné (voir ICI) par l’ampleur de l’entreprise, qui conjugue brillamment drame social, tragique familial, portrait d’un lieu et d’une région. Et par l’audace consistant à choisir, en fait de région, l’Alsace, difficile à dépeindre et, du reste, rarement dépeinte en dehors de ses frontières. Tant de culot et d’originalité méritait bien quelques questions…

     

     

     

    © Manon Bucciarelli

     

     

     

    Comment en êtes-vous venu à écrire ?

     Ça a été presque immédiat : un des plus grands souvenirs de ma vie, c’est le moment où, enfant, j’ai appris à lire et à écrire. C’était à la veille des vacances de la Toussaint et, quand on m’a expliqué que, la semaine suivante, je n’aurais pas école, j’en ai pleuré…

    Bien sûr, comme beaucoup d’enfants, je me suis mis à réaliser des petites BD et des petits livres. Pour mes dix ans, mon grand-père m’a offert une machine à écrire : j’ai tapé à la machine tout l’été…

    Mais, ensuite, j’ai fait d’autres choses. De la musique, en particulier. Puis, un jour, au lycée, en seconde, on nous a demandé d’écrire une nouvelle. Je me suis alors trouvé plongé pour la première fois dans cet état d’obsession positive qui vous fait tout oublier… Très vite, j’ai senti que c’était cela que je devais faire.

     

     Comment écrivez-vous ?

     Il m’a fallu huit ans de travail pour écrire Les Garçons de la cité jardin. En 2010, j’avais la trame narrative. L’idée de situer l’action dans la cité-jardin est venue ensuite. Puis il y a eu de nombreux essais, des erreurs, des changements de temps, de point de vue… De 2016 à 2018, j’ai relu et réécrit. La première page, je crois l’avoir recommencée quelques centaines de fois. Et pendant tout ce temps je n’ai montré mon texte à personne. Pas même à ma compagne. J’avais peur par moments de sombrer dans la folie !

    Tout cela à un rythme très irrégulier. Je suis très structuré dans ma méthode, qui consiste à prendre des notes, à les retravailler, à les reporter plusieurs fois ; mais, pour ce qui est de l’organisation du temps, j’écris dans un grand désordre. Par à-coups, et souvent la nuit.

     

     Écrire, est-ce pour vous un travail ?

     En tout cas, ce n’est pas un métier. Je suis un peu de l’avis de Kurt Cobain, qui disait : ma musique est une expression de ce que je suis ; le métier, c’est ce que je fais quand je réponds à une interview. Michon dit à peu près la même chose : il ne faut pas en faire un métier. C’est surtout de l’ordre de la sorcellerie : on essaie de susciter un miracle.

    Un travail ? Plutôt une obsession. Ou un devoir. J’ai deux grandes motivations. D’une part, je ressens le besoin d’exprimer ce que j’ai en moi, la fureur qui est en moi. Et, par ailleurs, j’ai le désir de réaliser, tout simplement, une œuvre !... Je veux savoir ce que ça fait d’être dans la forge de Vulcain. D’où ça sort ? C’est la question que je me pose quand je lis certains textes qui m’enthousiasment. Et il n’y a qu’en écrivant soi aussi qu’on peut y répondre.

     

     Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

     Il y a des auteurs que j’admire tout en me sentant loin d’eux. Michon, par exemple, que j’ai cité tout à l’heure, est très érudit, très littéraire, plutôt éloigné du roman, au contraire de moi. Si je veux citer des auteurs qui m’ont aidé dans mon chemin, il y a Tchekhov, Dostoïevski, Tolstoï, mais aussi Simenon, Henry Miller, aussi bien que Kafka ou Virginia Woolf. Je pourrais aussi citer des gens qui ne sont pas des romanciers, comme Artaud, qui me fascine par sa façon organique d’écrire, ou, dans des domaines différents, Barthes, Nietzsche…  Et j’allais oublier Proust ! Je n’ai jamais rien lu d’aussi énorme.

     

     Sans cacher que vous vous inspirez de la cité Ungemach, située dans la banlieue de Strasbourg, vous la transposez à Mulhouse sous le nom de « cité Hildenbrandt ». Faut-il interpréter ce déplacement comme un signe de votre volonté de faire un roman et non une étude sociologique ? 

    Tout à fait. Je cite encore Michon : « L’homme dont parle la littérature n’est pas celui qu’interroge la sociologie ». Je fais du roman. Et j’assume le côté despotique qu’il y a dans le fait de créer cet espace en lui redonnant un nom. Je dois dire aussi que mon expérience personnelle de la cité Ungemach, que j’ai beaucoup fréquentée enfant et adolescent, n’a pas toujours été agréable. Le fait de la transformer en cité Hildenbrandt me permettait de dire ce que je voulais sans m’exposer à ce qu’on vienne me reprocher ceci ou cela.

    Cela dit, Ungemach a été pour moi un formidable lieu d’observation de la réalité, d’une certaine réalité, au moins, celle d’un milieu populaire, blanc, avec ses rituels, ses comportements. J’y ai mis beaucoup de souvenirs précis : les voisines qui se parlent d’une fenêtre à l’autre, bien d’autres choses...

    Mais pour en revenir plus précisément à votre question, oui, je veux faire du roman. Je n’aime pas le mot « fiction », tant utilisé aujourd’hui. Pour moi, la fiction, c’est un travail technique, la plupart du temps bien fait, tel celui qui produit les pubs ou les séries. C’est le triomphe de l’entertainment. Alors que le roman est un art.

    Parmi les auteurs que je citais plus haut, j’aurais aussi pu évoquer René Girard, une de mes grandes découvertes : La Violence et le sacré, mais aussi Mensonge romantique et vérité romanesque. La fiction, la série entretiennent l’illusion de l’autonomie de l’individu, qui est au principe du « mensonge romantique ». Alors que le roman nous rappelle que le désir est mimétique et que chacun de nous est pris dans ses relations avec les autres humains. De ce point de vue, il apporte bien une vérité. Il représente une expérience spirituelle.

     

      L’ancrage dans un cadre régional bien particulier, l’Alsace, est-il important à vos yeux ? envisageriez-vous d’écrire sur d’autres lieux, une autre région ? 

    Cet ancrage s’est imposé à moi comme une bonne idée : deux centres d’intérêt, l’entrelacs des relations familiales et les cités-jardins, ont convergé. Mais l’atmosphère que j’ai utilisée, ou recréée, était en moi. Je crois que l’écriture est aussi, pour celui qui écrit, une réappropriation de sa vie. Il y a eu une phase de ma vie où j’ai vécu près de et dans la cité-jardin. Écrire, c’est aussi une manière de faire son deuil. À présent, dans mes projets, je pense à d’autres phases de ma vie, sans rapport avec l’Alsace. Car à un moment donné j’ai voulu m’en éloigner. Et c’est seulement une fois installé à Paris depuis dix ans que j’ai éprouvé du plaisir à retourner de temps à autre à Strasbourg et, éventuellement, à retrouver la cité Ungemach.

    Une fois que j’ai eu décidé d’y installer mon histoire, c’est vite devenu un jeu : ne surtout pas faire du régionalisme, et, en même temps, situer clairement les choses dans la région. En utilisant, par exemple, le dialecte alsacien. Il est vrai que sa présence se résume à quelques mots. Des jurons, pour la plupart, qui sont tout ce que j’en connais vraiment…

     

     Melvil, dont le nom rappelle celui d’un grand romancier, a grandi et vit dans la cité mais l’observe comme à distance et reste en marge par rapport à ses frères et aux autres habitants. Doit-on voir en lui une figure de l’écrivain ? 

    Sa révélation à lui, c’est de découvrir qu’il recèle une possibilité. Sans plus. Pas forcément l’écriture, même si ses facultés d’observateur et son empathie pourraient l’y prédisposer. Je n’ai pas voulu faire de lui l’écrivain. Il n’a pas une maîtrise très poussée du langage, il n’a pas vraiment fait d’études. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des capacités de raisonnement, et même d’un haut niveau de complexité.

     

     Votre roman fait la part belle au destin, à la tragédie, et laisse peu de place à l’espoir. Les êtres sont-ils, pour vous, irrémédiablement prisonniers des déterminations sociales et familiales ?

     Je l’observe avec tristesse. D’ailleurs, quand on parle de déterminisme, on parle toujours des pauvres, mais les gens sont prisonniers de leurs origines aussi bien dans les milieux favorisés. Mohamed Mbougar Sarr, l’auteur de La Plus Secrète Mémoire des hommes [éditions Philippe Rey], avec qui j’étais à Strasbourg récemment, a parlé à ce propos, lors de la rencontre à laquelle nous participions, de « la toile de l’araignée mère ». J’ai ajouté qu’on contribuait à tisser cette toile pour nos propres enfants. On cherche à leur donner ce qu’on a reçu soi-même, par simple peur de l’inconnu.

    Cela dit, Melvil a au moins pris conscience de quelque chose. Et il y a aussi Hippolyte, le jeune handicapé qui est son ami et dont tout le monde, à part lui, se moque. Son nom est celui du personnage de Madame Bovary qui est affligé d’un pied bot et devient la victime de la bêtise des autres, comme Hippolyte est victime de leur méchanceté. Lui, cependant, détient quelque chose de précieux : l’envie et le culot.

     

     Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

    Sur un livre qui est prêt dans ma tête mais auquel je n’ai pas touché depuis le mois de février. Ne comptez pas sur quelqu’un qui a travaillé pendant huit ans sans rien faire lire à sa propre compagne pour vous en dire plus. Mais c’est un livre qui me paraît presque impossible à faire, et je tiens à ce qu’il en soit ainsi. Il faut, au départ, que le livre à faire paraisse infaisable.

     

    Photo Chloé Vollmer-Lo

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  • generationvoyage.frÇa commence par Lazare sortant du tombeau. Un Lazare qui se trouvait fort bien dans « le non-être » et qui, « dérangé », demande : « Pourquoi, Seigneur ? Ai-je fait quelque chose qui t’a mécontenté » ?

     

    Après, on a un peu l’impression de tomber dans un récit de Beckett. D’ailleurs, il y a une citation de Beckett en exergue, à côté de celle qui, tirée de l’Évangile de Jean, renvoie à l’histoire de Lazare ressuscité. C’est monsieur N. qui raconte cette histoire-là. Monsieur N. vit dans un « hôtel » dont il « ne sort que rarement » car il « lui offre avec ses pensionnaires de quoi se passer du dehors, et largement ». Sans autres visites que celles du « patron » et d’une certaine « Miss Zahra », il traîne dans sa chambre et noircit du papier. Après avoir publié plusieurs romans, il s’est persuadé « que la parole tout entière avait perdu sa consistance et que, usée jusqu’à la corde, elle lui coulait sur les mains comme de la cire fondue ». Alors, il a, pour un temps, haï l’écriture. Puis il s’y est remis, puisque c’est « à cela que se résume [sa] vie : à un train ininterrompu de mots, chacun d’eux formant un wagon de personnages et d’événements ». Mais « peut-être qu’ils ne sont pas correctement rangés dans [sa] tête — je veux dire, les wagons — ou disons qu’ils ne se suivent pas dans le bon ordre ». On est prévenu.

     

    « Dans le ventre de la ville »

     

    Tout, ici, est sens dessus dessous, et la traduction, curieux mélange de raffinements stylistiques et de fautes de syntaxe, ajoute encore à l’impression de savant chaos. Chaos dans les personnes, d’abord (« Ça alors ! Voilà que je me remets à parler à la troisième personne ! ») ; dans le temps, comme cela a été annoncé ; dans les lieux — est-on bien à l’hôtel ? a-t-il bien existé, cet appartement à balcon dans un quartier élégant, où N. a aussi, semble-t-il, habité ?

     

    Une chose est sûre : on est à Beyrouth. « Je suis tombé dans le ventre de la ville comme Jonas dans celui de la baleine », dit monsieur N., dont le nom tel qu’il apparaît dans le titre original, Noun, s’il sert occasionnellement à désigner, en Orient, un chrétien, peut aussi signifier gros poisson. Beyrouth, ça explique tout. Car tout s’expliquera : on saura dans quel genre d’hôtel réside notre Lazare-Jonas-Noun, et ce qui l’a amené là ; pourquoi son père s’est suicidé, pourquoi il a enchaîné les dépressions, d’où lui est venue la bizarre manie d’errer dans les bas-fonds pour s’y faire tabasser par les pauvres et les exclus de la société libanaise. On saura aussi tout de ses rapports avec les femmes, de la mère détestée (« Je revois son premier regard quand elle a posé les yeux sur moi et m’a regardé comme une chose, un objet dont elle n’avait pas besoin… ») aux amantes, réparties en anges et démons. On saura, enfin, qui est le mystérieux Loqmane, ex-seigneur de la guerre qui réapparaît régulièrement dans la vie du héros.

     

    « Comment rester d’aplomb ? »

     

    C’est en effet la guerre qui explique Beyrouth, où « les rats se promèn[ent] sur les rebords des (…) balcons », où « les ordures jonch[ent] le sol », où « moustiques, mouches, cafards, chats sauvages, chiens alouvis, tous s’enveniment et se laissent enivrer par le goût du meurtre ». « Cette métamorphose s’est fait jour chez eux pendant les années chaudes de la guerre civile », ajoute N. Cette guerre qui a poussé son père à sauter par la fenêtre, qui l’a mis lui-même dans l’état où il est, et qui détermine les motifs d’une fiction où l’on trouve une mauvaise mère, un chef de famille faible, des frères qui se haïssent…

     

    Car son onde de choc ébranle tout ce livre, où s’entrecroisent, avec un brio frénétique, journal d’un écrivain, récit d’enfance, saga d’une famille chrétienne libanaise, roman fantastique, « thriller psychologique » (pour parler comme la quatrième de couverture), poème urbain. Voire poème tout court, qui nous fait entendre, à la manière de Lautréamont, une voix délirante logée dans un corps déglingué : « Sur ma peau nue rampent des insectes dotés de pattes et de visages, que j’éjecte d’un geste agacé (…). Je suis dans une chambre blanche dont je ne distingue pas tous les détails, à peine capable que je suis de bouger la tête. Mes yeux sont seuls à battre instinctivement. Ce qu’il me reste de corps est comme cloué sur une planche en bois ».

     

    Laissons le mot de la fin à Loqmane : « Eh oui !, mon frère, comment rester d’aplomb dans un pays pareil, qui n’obéit à aucune coutume ni à aucune loi ? » Un pays auquel la romancière libanaise a en tout cas trouvé et donné, discordante, grinçante et moderne à souhait, une voix.

     

    P. A.

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